On devine par-là que le ton n'y sera jamais totalement neutre. Pas tant rebelle qu'imperméable aux modes, structuraliste ou maoïste. Il est vrai que son siège social ne se situe pas exactement rive gauche et qu'on ferraille gentiment avec Tel Quel.
La plume swiftienne de son créateur Michel Mourlet guide les éditoriaux. Le frontispice franchi, seule une constante exigence anime toutes les rubriques (littérature, cinéma, théâtre, peinture, gastronomie...).
Jacques Lourcelles, le compère mac-mahonien, hérite fort logiquement de la rubrique cinéma, avec pour pièces de choix des articles sur Preminger, Sirk, Buñuel ou Pialat, préambule à son hétérodoxe et réjouissant Dictionnaire des films.
On y (re)découvre le style et les obsessions de Jean-Pierre Martinet, stakhanoviste et champion des notes de lecture (entre autres fonctions) : ses quelques pages sur Emily Dickinson et Ernst Jünger justifient à elles seules l'acquisition de cette anthologie.
On serait bien en peine de trouver une revue de l'époque faisant avant tout son miel de Georg Trakl, Philippe Jaccottet, Jacques Chessex (pré-Goncourt) ou Carson McCullers. La pertinente inactualité des copieux dossiers étonne et détonne : cardinal de Retz, Calet, Montherlant, Caillois, Barrès, Vialatte, Malet...
Jaccottet, Sirk ou Chessex s'invitent dans le courrier des lecteurs. De fait, ébullition et émulation sont permanentes. Au sein d'une bande marginale et confidentielle, les distinctions entre auteurs et intervieweurs, lecteurs et contributeurs, s'estompent. Il serait injuste d'y voir un délit d'initiés, et presque répréhensible de ne pas s'initier à ces délices : brillants, jubilatoires et émoustillants.