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Maudits !

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Une actualité de Véronique M.
Publié le 29/03/2016

toutes les vagues de l'océanPour cette rentrée hivernale, la collection policière des éditions Actes Sud nous promet deux auteurs de langue espagnole au talent déjà reconnu et au style radicalement différent : si le sous-titre du prochain Carlos Salem est une nouvelle invitation dans son univers délirant et attendrissant, Le plus jeune fils de Dieu, Un évangile de Bière-Fiction (à paraître le 28 janvier), le dernier Victor del Arbol, Toutes les vagues de l'océan pour le 4  février a comblé nos attentes dans la veine du grand roman noir historique.

Toutes les vagues de l'océan renoue avec ce qui a fait le succès de notre premier coup de cœur de l'année 2012, La tristesse du samouraï : un tableau tragique et épique de l'Histoire du XXème siècle à travers trois générations marquées au fer rouge d' idéalismes vaincus. Le livre s'ouvre à notre époque avec le rapt et l'assassinat d'un enfant par un certain Zinoviev lui-même retrouvé mort quelque temps plus tard avec les menottes de la sous-inspectrice Laura Gil. C'est son supérieur Alcazar qui vient procéder à l' arrestation de sa collègue qui a de toute évidence vengé elle-même la mort de son fils Roberto. Quelques mois après, Alcazar vient annoncer à Gonzalo, le frère de Laura, le suicide de cette dernière. Cette mort brutale et les objets retrouvés dans l'appartement de Laura, reliques d'un passé nébuleux, renvoie ce frère jadis si proche de sa sœur aînée à la distance qui s'était creusée entre eux ces dernières années. Un vieux blouson d'aviateur, un médaillon-portrait représentant une jeune femme portant une inscription quasi illisible va agir comme le déclencheur des souvenirs autour de la figure omniprésente de leur père, héros survivant de l'Histoire selon Gonzalo et leur mère Esperanza, mythe profané par Laura dans un cinglant article de journal. Gonzalo, lui-même tourmenté par son fils Javier avec lequel il n'arrive pas à communiquer (surtout son amour), tente de sauver et relier le passé qui l'enchaîne à jamais à la maison de son enfance, "cimetière oublié" qui recèle des secrets que certains voudraient enfouir à jamais.

Victor del Arbol nous mène alors à l'origine de cette sombre lignée et des silences mortifères entourant la statue du père, Elias Gil, disparu en 1967 alors que Gonzalo n'était qu'un enfant de 5 ans. Exalté par le rêve communiste transmis par son propre père, Elias avait débarqué en 1933 à Moscou avec d'autres ingénieurs européens afin de travailler pour le peuple soviétique tout en rêvant d'y trouver la Russie du temps de Gogol, Gorki ou Dostoievski. Ce jeune romantique est loin de se douter que son Dieu Staline va se révéler le pire des bourreaux  qui va lui faire connaître, plutôt dans la veine de Soljenitsyne ou de Chalamov, l'enfer du goulag incarné par le démoniaque Igor Stern, mais également l'amour de la douce Irina sur l'île de Nazino. Revenu de l'horreur démentielle de Sibérie, puis de la guerre civile espagnole qui le conduira en France dans les camps d'Argelès et de Collioure en 1939 (tels des milliers de réfugiés espagnols exilés dans le Sud de la France lors de la Retirada) avant d'être enrôlé de force sur le front de Leningrad en 1941 (avec d'autres Espagnols à la chemise bleue, d'où leur nom de "division Azul"), Gonzalo est promu commandant de la police intérieure NKVD à Berlin en 1945, continuant à forger sa noire légende et à brouiller les pistes. N'est-il pas devenu, comme l'ignoble Igor Stern, un loup parmi d'autres avec le sang de ses semblables sur les mains ?

Ils n'étaient pas des héros, mais des hommes mesquins, flous, effrayés."

Fidèle à l'idéal d'une enfance unie, Gonzalo découvre alors l'existence de La Matriochka, organisation  criminelle internationale sur laquelle enquêtait en secret sa sœur. Ces petites poupées russes s'emboîtant parfaitement les unes dans les autres renvoient alors à la structure gigogne du roman et à la traque de la vérité  :

La Matriochka est un jeu d'apparences où n'existe qu'une vérité, mais contrairement aux apparences, la vérité et ses reflets sont identiques, ce qui ne signifie pas qu'ils soient la même chose ".

Comme dans La tristesse du samouraï, le lecteur captivé emprunte tour à tour les multiples masques de cette fresque chorale, et se glisse dans la peau du détective agençant les pièces du puzzle mémoriel, cette guerre ancestrale et vertigineuse entre pères et fils :

Nous sommes la première goutte, Elias. Nous annonçons la tempête qui emportera le vieux monde".

Bibliographie

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