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Moi, qui aime si peu à écrire des lettres

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Une actualité de David V.
Publié le 24/11/2014

gourmont.jpgGuillaume Zorgbibe est un éditeur étonnant, en plus, on s'en doute, d'un monsieur épatant si on en juge par la photo de son bureau qui a été vue dans la presse et qui témoigne que sa passion du livre guide sa vie. Il consacre depuis quelques années son énergie à diriger seul la maison d'édition du Sandre qui a imposé, loin des piles de best-sellers, une ambition déraisonnable, celle de se consacrer à des auteurs illustres ou qui mériteraient de l'être en publiant un aspect essentiel et parfois méconnu de leur œuvre. On pense ainsi à Amiel, Toulet, Hello (il est bien le dernier ou presque à se souvenir de cette figure trop négligée), Nicolas Chamfort (avec une somme impressionnante), Joseph de Maistre et son frère Xavier, Montesquiou, Mirabeau, François Coppée (oui c'est possible), Maurice Rollinat, Georg Simmel, Thoreau et Emerson réunis, Sacher Masoch, Schopenhauer, et on n'en finirait pas de s'éblouir devant la richesse de son catalogue. Soucieux d'un travail éditorial qui ne négligerait pas l'appareil critique, il compose ainsi parfois de gros volumes appelés à faire autorité dans leur domaine, piliers de bibliothèques à venir où le crème de ses couvertures se reconnaîtra.

Dernière en date de ses prouesses - car il faut bien convenir qu'éditer mille pages d'un coup relève aussi de la performance - la Correspondance du génial Remy de Gourmont, l'ermite de la rue des Saints-Pères dont on a oublié le rôle central qu'il joua au début du XX° siècle et que l'on redécouvre chroniquement pour s'éblouir de son intelligence et mesurer son influence. Réunie, préfacée et annotée par Vincent Gogibu - un autre fondu de Lettres - elle compile 1200 lettres sur une période qui couvre toute sa vie, offrant ainsi, dans l'attente d'une biographie qui viendrait éclairer le parcours, une vision unique de cette époque et de la richesse intellectuelle de celui qui la traversa en se montrant profus et discret tout à la fois. Car c'est bien le charme de plonger dans les lettres d'un homme de papier, même si celui-là avoue qu'"il aime si peu à en écrire" que de découvrir comment tour à tour il se fait ami, amant, conseiller, guide voire "phare vers lequel se tournent les artistes". Rien ne permet mieux de juger d'un artiste que ce qu'il livre dans le secret d'une correspondance et il est évident à parcourir ces centaines de missives que derrière la stature du grand écrivain se dessine celle d'un homme attentif, dévoué qui ne travaille pas assez à sa postérité, ne calcule guère, ce qui se traduit aujourd'hui par la relative méconnaissance dont il est victime. On redécouvre aussi son travail d'éditeur au sein du Mercure et les noms qu'il y révèle, son parcours à la Bibliothèque Nationale qui se terminera par l'épisode du Joujou patriotisme. On s'attache à un homme qui souffre d'amours rarement à la hauteur de l'âme qui le ressent malgré le sublime épisode de l'Amazone. Bref, un homme tout entier resurgit que l'on reconstitue comme un puzzle. Les lecteurs de correspondance se font rares, ceux de Gourmont ne sont pas légion mais il serait bon que cette élite parmi l'élite ne dédaigne pas le cadeau qui nous est fait.

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