Chacun de ses quatre romans parus dans la collection Actes Noirs (le précédent,
Toutes les vagues de l’océan qui vient d’être publié chez Babel, nous avait bouleversé et a été couronné du Grand Prix de littérature policière en 2015) débute par un meurtre : dans le prologue de
La veille de presque tout, c’est l’inspecteur de police Germinal Ibarra qui abat froidement « l’homoncule » à Málaga. On pressent derrière cet acte solitaire la vengeance qui anime quasiment tous les personnages de
Victor del Arbol, mais il faudra attendre la fin du roman pour que toute la lumière soit faite sur le mal profond qui ronge Ibarra depuis de longues années. Trois ans plus tard, ce flic est appelé à l’hôpital de Barcelone au chevet d’une inconnue retrouvée dans un état grave. Au gré des souvenirs que celle-ci va réveiller, Germinal devra lui-même devoir affronter ses propres démons liés à son enfance, et à la folie des hommes car « les vivants ont toujours un rapport avec les morts ».
D’autres personnages sur cette côte galicienne vont entrer dans ce théâtre d’ombres, tous hantés par un indépassable secret et tentés par le meurtre de leurs bourreaux tels Mauricio Luján, vieux chapelier argentin qui cache ses cicatrices sous son élégant borsalino : « indécrottable romantique » nostalgique du Buenos Aires de sa jeunesse, il écoute les vieux disques de Carlos Gardel tout en attendant l’heure de retrouver un vétéran de la guerre des Malouines, en réalité le tortionnaire du « Grupo de tareas 3 » ayant sévi pendant la dictature militaire en Argentine trente-trois ans plus tôt.
Son silence pèse également sur son petit-fils Daniel, fragile orphelin depuis l’incendie qui a ravagé sa famille et qui ne trouve à se confier qu’à Martina, une sculptrice qui modèle dans l’argile des visages sans yeux, ou à l’énigmatique Paola qui a tout perdu depuis qu’un fou lui a arraché sa fille. Ces existences maudites ont toutes comme point commun d’être habitées par l’indicible et la faute de leurs pères. Le poète argentin
Juan Gelman, lui-même persécuté par le pouvoir en place et « chantant la perte de sa famille aux côtés de trente mille autres disparus », est l’un des leitmotivs qui unit ces destins : victimes comme bourreaux lisent ses vers, s’identifiant à « cet être désespéré qui s’obstinait à donner un sens au chaos »… tel l’artiste ou l’écrivain.
Au travers de ce puzzle mémoriel auquel se vouent chacun des acteurs de ce drame intime et collectif (du franquisme en Espagne à la dictature en Argentine dans les années 1970-80), Victor del Arbol qui a reçu récemment pour ce roman le prestigieux prix Nadal (équivalent en Espagne de notre Goncourt) dresse un constat amer et lucide qui interroge plus que jamais sur la possibilité du pardon, à soi-même comme à l’autre :
« Ce qui n’a pas d’issue, c’est le passé. Mais la mémoire est une façon d’inventer le présent. »