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Murakami court toujours

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Une actualité de David V.
Publié le 24/08/2013

416369580x.jpgOn ignore trop souvent les vices cachés, les remèdes bizarres, les goûts honteux qui permettent aux écrivains de supporter le poids de leur talent ou de leur génie, pour ceux tout au moins qui en sont dotés. C'est leur domaine privé qu'iront fouiller plus tard des biographes américains persuadés qu'à creuser dans les jardins on trouve tout, y compris l'inexplicable : laissons-les à leurs illusions. Il arrive cependant que certains auteurs acceptent de dévoiler, le temps d'un livre, un pan de leur vie quotidienne au risque de fissurer leur statue. On découvre qu'untel  fait de la peinture, que tel autre jouit des odeurs du macramé, plus fréquemment on apprend que le sport vient équilibrer des vies que ne rythment pas les horaires stricts d'un travail. Haruki Murakami, la grande star des Lettres japonaises, n'a jamais caché son addiction à la course à pied mais nous autres français l'ignorions, trop occupés que nous étions à lire ses œuvres et peu au fait de ses loisirs. Au Japon, c'est une autre affaire, et il n'est pas rare qu'un magazine spécialisé l'interroge sur sa pratique qu'il accepte volontiers de dévoiler. Que cela devienne un livre, que nous pouvons désormais lire depuis quelques jours, était une autre affaire, car se télescopent deux univers a priori distincts : l'écriture et la course à pied. Dans Autoportrait de l'auteur en coureur de fond, Murakami mouille son tee-shirt (et non pas sa "chemise" comme l'écrit sa traductrice qui n'a jamais dû faire un footing qu'elle pratiquerait, sinon, à grandes "enjambées"… un mauvais point pour l'éditeur que cette traduction approximative) pour nous expliquer, avec parfois quelques difficultés, sa passion raisonnable et douloureuse pour cette épreuve quotidienne qui consiste par tous les temps à chausser d'épaisses chaussures pour arpenter des rues mal adaptées à ce sport qui ne réclame rien d'autre qu'un peu de matériel et pas mal d'inconscience. Pour lui, tout a commencé passé trente ans quand lui est venu l'envie d'écrire (le plus étonnant aveu de ce livre que le récit de cette vocation tardive). Il fallait à cette nouvelle discipline un homme neuf se levant tôt et ne fumant plus : c'est la course à pied qui va permettre à ce jeune homme d'un naturel plutôt sauvage de devenir l'écrivain célèbre qui fait désormais le tour du monde. En 180 pages il va nous narrer, avec des détails aussi inattendus que la durée de ses sorties, le relief de ses parcours ou ses petits soucis de santé (mais le chanceux n'a jamais trop souffert, nous avoue-t-il, de blessures sévères) la vie de l'écrivain-coureur de fond, capable de faire un marathon par an depuis vingt ans, des triathlons régulièrement et une mémorable course de 100 km, le rapport étrange entre sa pratique sportive et son écriture qui paraissent peu imbriquées car il avoue ne pas penser à ses romans en courant (à la différence de Joyce Carol Oates, grande coureuse devant l'éternel dont on prétend que ses courses quotidiennes lui permettent de mettre au clair ses idées). Le grand intérêt du livre - qui n'est pas un chef d'œuvre littéraire, disons-le carrément - tient à cet aveu, répété et expliqué, de la nécessaire astreinte à une discipline pour devenir un écrivain. Le Murakami que l'on découvre ne joue pas les génies, il est très humble et sans fausse manière, mais il n'en devient que plus saisissant et touchant, comptant par exemple les gens qui le doublent en course mais se réjouissant de les rattraper le moment venu. On laissera aux apprentis écrivains et aux amateurs de foulées régulières le plaisir de découvrir cette vie au long souffle et notamment l'épisode amusant de la course en solitaire vers le village de Marathon d'où provient sans doute la photo qui orne la couverture du livre. Joli contrepoint au Courir de Jean Echenoz, Autoportrait de l'auteur en coureur de fond est un livre à part, un document rare posé au cœur de la bibliographie d'un écrivain qui nous sera désormais mieux connu.

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