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Narcissisme australien

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Une actualité de David V.
Publié le 29/05/2013

Il y a toujours quelque risque à s'aventurer dans la vie d'un personnage qui a existé en lui redonnant vie sous forme romanesque. C'est d'autant plus vrai quand il ne s'agit pas d'une célébrité et que les documents sont rares. Mais s'il y a risque, il y a aussi liberté et François Garde qui débute avec Ce qu'il advint du sauvage blanc ne s'est pas privé de celle que lui offrait son personnage, Narcisse Pelletier, mousse vendéen qui vécut une expérience impressionnante au milieu du XIX° siècle, passant près de dix-sept ans dans une tribu aborigène après que son bateau l'eut abandonné sur une plage. Un document existe, réédité il y a une dizaine d'années chez Cosmopole, le récit véridique, comme on dit, intitulé Chez les sauvages (épuisé, mais on annonce une réédition bienvenue). C'est à partir de celui-ci que François Garde a bâti son roman, libre de ses mouvements avec un personnage qui semble plus âgé que dans les faits et donc plus à même de raisonner qu'un adolescent. Oxymore vivant, son marin silencieux vit l'écartelement insoutenable de n'être plus chez lui nulle part, au bord du gouffre de sa mémoire qui le menace car penser au passé, c'est le tuer. L'habileté du livre consiste en un va-et-vient entre récit de l'aventure du marin apprivoisé par les aborigènes et dont nous allons suivre les premiers pas, et compte-rendu à une société savante de ce qu'il lui advint quand on l'eut récupéré de la main d'un noble passionné d'ethnologie, le Vicomte de Vallombrun (personnage inventé par l'auteu) qui prend fait et coeur pour le destin poignant de cet homme retiré à la civilisation avant de lui être rendu. On avance donc à tâtons dans la vie du malheureux, Narcisse devenu Amglo à son corps défendant, le premier qui quitte sa dépouille de blanc pour s'ensauvager, le second qui ne sait plus parler, qui reste prostré comme s'il n'attendait plus rien et à qui il va falloir tout réapprendre, y compris les pires côtés de l'homme blanc, ses "mauvais penchants". Sa mémoire paraît se refuser à parler de ce qu'il a subi, comme si la langage signifiait une deuxième mort, c'est donc dans un mouvement alterné que le lecteur découvre sa stupeur, son incrédulité, son inutile colère dans un milieu hostile où son savoir ne sert à rien, et sa redécouverte du monde occidental qui se fait avec une lenteur irréelle.

Ce qui frappe dans ce roman qui est une réussite, ce n'est pas tant le style qui sent parfois un peu son artifice, mais sa vision d'un homme arraché, reconstruit puis de nouveau défait de son environnement et qui n'a rien pour l'aider, point de culture, point de référence, point de foi ni d'histoire, mais la présence miraculeuse et souvent maladroite d'un apprenti savant qui rêve de système mais se casse le nez sur ce cas qui défie son entendement. Ce qui étonne précisément c'est la démonstration de cette faiblesse de l'homme civilisé qui croit savoir mais se perd dans des conjectures, qui croit en sa supériorité matérielle, intellectuelle et théorique mais doit abdiquer devant le réel, devant le supposé primitif. Ce qui séduit enfin c'est le récit de ce magnifique échec d'un homme généreux dont la famille ne comprend pas l'acharnement à vouloir aider un inconnu à peine reconnaissant : Octave de Vallombrun est un héritier des Lumières mais il marche dans cette part ténébreuse de la Science, incapable de résoudre un mystère quasi-originel, et qui devine qu'il va tout y perdre. La fin du roman éclaire de sa lumière triste un double parcours sans nous livrer de morale, ce qui aurait été dommage pour un livre bâti sur les pouvoirs du silence.

 

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