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"Noir", c'est noir...

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Une actualité de Véronique M.
Publié le 15/03/2016

couverture-noir-coover.jpg Un titre banal mais qui se révèle au final riche, intense tout en cernant avec une telle économie son sujet à la perfection ne peut qu'attirer l'attention d'amateurs de polars et de littérature, situation doublement exceptionnelle sachant que ce roman sort traduit en français (au Seuil, collection "Fiction et Cie") avant même sa parution en version originale aux Etats-Unis ! Son auteur, Robert Coover, s'en explique par son désir de reconnaissance auprès des critiques français des années cinquante qui ont forgé eux-mêmes l'expression "film noir"pour définir cette vague de séries B qui arrivait d'outre-Atlantique.

En effet, Noir joue sur tous les clichés du roman et film noirs américains de l'après-guerre : le détective s'appelle Philip M. Noir par référence à la mythique Série noire et bien entendu au célèbre Philip Marlowe de Raymond Chandler, mais l'ensemble de l'univers du roman joue en permanence sur tous les clichés du "hard- boiled" tel qu'il est apparu dans les années 1920-30. Noir se trouve ainsi affublé de tous les codes et accessoires indispensables au privé tel que notre mémoire se le représente: trench-coat, chapeau, "tige au bec" (entendez : sa cigarette), sa bouteille de whisky prête à le consoler quand ce n'est pas "Blanche" sa dévouée secrétaire blonde (qui lui prête ses sous-vêtements quand son patron se retrouve en mauvaise posture...), les bars louches avec prostituées et pègre de rigueur, les docks sinistres, les indics, les flics corrompus et violents, les passages à tabac, les flingues, les courses-poursuites et les filatures qui tournent au désavantage du détective : traqué, accusé à tort de la mort de l'employé de la morgue en charge du corps d'une veuve fatale qui avait auparavant demandé à Noir de la protéger.

Entièrement écrit à la deuxième personne du singulier (choix du traducteur Bernard Hoepffner de ce "you" déjà tellement ambigu), si bien que le lecteur ne sait pas vraiment s'il est plongé dans la conscience de Noir qui se parle à lui-même (monologue intérieur), si l'auteur omniscient s'adresse directement à nous ou même s'il s'agit de la ville, innommée mais labyrinthique et infernale, qui tutoie et sème le personnage-lecteur démuni(s) de tout pouvoir et savoir.

Perdu entre les ruelles et les errements du personnage, mais aussi dans une narration en forme de puzzle qui privilégie les flashbacks et les lacunes, Noir multiplie les réécritures: celles des mythes (bibliques, américains...) qui peuplent l'imaginaire de Coover depuis Le Bûcher de Times Square (son premier ouvrage traduit en 1980 en France et réédité en 2006 au Seuil) ainsi que la littérature française des années 1950 (romans de l'existentialisme, du Nouveau Roman...) auxquels il emprunte certes la dimension métaphysique et tragique, mais aussi le même sens de l'absurde et de l'(auto)dérision, comme il le dit avec une plaisante provocation: "all my books are comic books"!!

De l'aveu de l'écrivain lui-même, cette intention à la fois parodique et d'hommage s'inscrit dans la lignée de l'excellent Privé à Babylone de Richard Brautigan (10/18) et de Pulp de Charles Bukowski (Livre de poche). Mais on est loin d'un simple exercice de style, d'une réflexion philosophique ou d'une énième mise en abyme. Le roman doit d'abord et finalement se lire comme une preuve que le "hard-boiled"est un genre qui, comme il le signifie littéralement lui-même, a encore la peau dure ("hard-boiled novel"= roman des durs-à-cuire) et ravira ceux qui auront envie de se (re)plonger dans les classiques du genre!

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