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Noms de pays : Les Pays

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Une actualité de Véronique M.
Publié le 29/05/2013

 Marie-Hélène Lafon est à l'honneur pour cette rentrée littéraire sur nos tables et prochainement à la librairie : le mardi 18 septembre (à 18h), elle viendra présenter Album et Les pays, deux publications simultanées chez son fidèle éditeur Buchet Chastel.

 

Le Cantal existe. Il est incontestable. Il est accroupi au centre de la mêlée des terres et il tient bon.

On le quitte, on y revient, on n'en revient pas, on le découvre, on le redécouvre, on l'espère et on l'attend, on le suppute, on le suppose, il désarme et désempare, il attendrit, il décourage mais ne désespère point. 

On étreint le Cantal, à pleins bras, on le regrette, on le récite, on le rêve, on l'emporte partout, on le respire, on le flaire, on ne l'avale pas, on le déglutit, on le suinte, on le suppure, il s'avère virulent, il s'accroche, il résiste, il persiste, il s'exaspère, il demeure.

Tel est l'incipit inoubliable de "Pays" qui, publié une première fois en 2005 sous le titre Cantal en compagnie de dix-sept autres textes, dessine les contours visibles de ce royaume primitif et le socle imaginaire de l'écrivain. Ces blocs de prose poétique, aujourd'hui enrichis de huit fragments inédits qui font retour sous le titre Album, forment un abécédaire et la matrice de l'oeuvre. Ces vingt-six lettres d'un alphabet intérieur font écho à la parution de son nouveau roman également baptisé Les Pays. Dans cette sorte de constellation (toponymique et topographique) des éléments chers à Marie-Hélène Lafon, circuler de Arbres à Vaches, traverser Automne puis Hiver, parcourir CheminsJardins et Rivière, côtoyer Chiens, Cochons, Tracteurs, humer BêtesHerbe et Odeurs, lire son Journal dans les Maisons, assister à la Nuit qui monte sur les Toits, c'est toucher la matérialité rugueuse du Cantal tel que Marie-Hélène Lafon l'empoigne, l'étreint, c'est-à-dire le laboure et le rumine à l'image des Vaches qui referment Album, autoportrait final de l'écrivain au travail en forme de boutade :

Les vaches ruminent. Moi aussi.

D' "entre Limon et Cézaillier, Allanche Murat Riom triangle des Bermudes des pays perdus " , les personnages de ses  nouvelles (genre dans lequel son art de la concision excelle : LiturgieOrganes ou dernièrement Gordana), ainsi que ceux de ses six romans (du Soir du chien aux Derniers Indiens et L'Annonce) en viennent, y vivent, subsistent de cette terre, en retournent ou en partent, comme c'est le cas de l'héroïne dans Les Pays. Née de parents paysans, Claire va s'extraire de ce monde premier, monter à Paris étudier le latin et le grec à la Sorbonne, et s'initier à la faveur de rencontres universitaires (son professeur de grec Monsieur Jaffre), amicales, amoureuses (ses "leçons de corps"), professionnelles (elle travaille deux étés durant dans une banque) à de nouveaux savoirs qui la traverse et qu'elle va patiemment habiter, engranger : on la découvrira enseignante dans la troisième partie du roman. Elle se rend à de brèves reprises dans sa région natale qu'elle ne quitte pas en pensées, s'éloigne peu à peu de son père, "dernier indien" d'une lignée promise à l'extinction, taiseux magnifique et méfiant qui considère sa fille de quarante ans comme une "bourgeoise" car elle ne fait "pas de bruit en mangeant sa soupe"...

Alors qu'à la fin du texte intitulé Chiens dans Album Marie-Hélène Lafon n'hésite pas à nommer le Cantal "mon pays", il est important de souligner que Les pays, malgré les origines aurillacoises et paysannes de l'auteur - elle-même élève en institution catholique à Saint-Flour, étudiante puis professeur de latin et grec à Paris - , n'adopte jamais la première personne ni ne verse dans l'idéalisation ou la nostalgie, manière de refuser l'étiquette simpliste "autobiographie/autofiction", ou "auteur régionaliste". Marie-Hélène Lafon semble autant tenir à l'attribut "roman" qu'au choix du déterminant pluriel du titre. Echappée vers la capitale et arrachement consenti au pays de l'enfance, ce récit de formation nous donne également matière à apprendre à travers le regard de Claire ébranlée, intimidée, émerveillée par la nouveauté : les "noms de personne et noms de lieux" acquis "par le seul et muet truchement des livres" (Proust, Flaubert, Céline, Faulkner), le violoncelle (Bach) et l'opéra (La Callas) entendus chez ses amies Lucie et Véronique, les tableaux contemplés au Louvre, les films (Pialat), l'attirance pour Gabriel puis Alain, recèlent des trésors insoupçonnés qui lui font signe, tout en retenant Claire "à la lisière" des êtres et des choses comme si elle ne pouvait y participer légitimement.

Est-il possible d'habiter un entre-deux, sans trahir ses racines ni ses aspirations ? Cette universelle question est soutenue par une écriture charnelle, organique qui révèle la passion du verbe commune à Claire et à l'auteur. Chaque nom est puissamment incarné, tour à tour sauvage, économe de moyens (à l'image du monde ancien et du père) ou rare, ouvragé à la manière de ses "bréviaires absolus" en littérature : Un coeur simple de Flaubert et Les vies minuscules de Pierre Michon. Si Claire donne la pleine saveur de son Cantal d'origine et déchiffre Paris, sa terre d'élection, par le corps (plus que par l'esprit), Marie-Hélène Lafon creuse plus loin dans Album le sillon de ce terreau fertile coulant en elle comme la rivière d'enfance Santoire dont Claire reprendra le nom (le nom du père : Claire Santoire). A la regarder jeudi 13 à l'émission La Grande Librairie et à la rencontrer le 18 septembre prochain à la librairie, c'est prendre le pari de se laisser traverser par les mots de Marie-Hélène Lafon pour ne plus les quitter, comme elle-même le déclare, amoureuse,  à la fin de "Pays"  :

J'en suis. De là-haut. J'en descends. Comme d'une lignée profonde. Lignée de vie, lignée de sens. Je n'en reviens pas de cette grâce insigne que c'est d'en être. Je n'en reviens pas et n'en veux pas finir de n'en pas revenir.
  [youtube]http://www.youtube.com/watch?v=aMwnIhfRZzs[/youtube]    

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