Bernard Quiriny a réussi en l'espace de deux recueils de nouvelles à s'imposer dans ce genre où, à vrai dire, on ne se bat pas trop pour la première place, on ne le dit que trop sur ce blog, c'est même devenu une de nos antiennes. Seulement voilà, dans notre grand pays de Lettres, on vous fait vite comprendre que pour trouver sa place et y être respecté, c'est du roman qu'il faut sortir de son clavier. N'écoutant que son courage, sa fougue et son intelligence, Quiriny a relevé le défi et il nous propose pour cette imminente rentrée un livre dont on va beaucoup parler et pas seulement outre-Quiévrain. Les assoiffées (au Seuil) ne fait ni dans la demi-mesure, ni dans l'auto-fiction interminable, nous ne saurons rien de la naissance de l'auteur à Bruxelles ni de sa vie en Bourgogne, une prochaine fois peut-être. Non, avec cet épais roman, il nous transporte dans une étrange uchronie, provocatrice en diable puisque c'est dans un royaume de femmes que nous allons pénétrer, l'Empire conquis par d'impitoyables féministes au début des années 70 et où un mode de vie unique s'est développé derrière des frontières de plus en plus infranchissables. Le Bénélux tout entier est devenu un équivalent de l'Albanie d'Hodja, pays de cocagne pour les féministes du monde entier qui fantasment sur ce royaume dirigée par une Bergère à laquelle a succédé sa fille, où on lui voue un culte absolu, mélange de maoisme intransigeant, de 1984 sans testostérone, de pays totalitaire où la reine Ubu dirige de ses palais un peuple d'amazones aveuglées (avec quelques mâles parqués ou émasculés, formidables larbins sur lesquels on peut s'essuyer les pieds de temps à autre). Bernard Quiriny a pris le parti de l'excès, le contraire aurait affaibli sa fable cruelle.Réaliste et précis, outrancier et moqueur, il nous trimballe, à la suite de ses personnages, une expédition de Français autorisés exceptionnellement à une semaine de visite guidée, dans ce délire politiquement incorrect où le féminisme exacerbé devient le paradigme de la tyrannie dans ce qu'elle a de plus monstrueux. Sa belle idée qui vient en permanence faire contrepoint au récit du voyage, est le journal d'une citoyenne lambda qui va faire l'expérience de l'élection et se voir choisie pour approcher la toute puissante et hystérique (mot interdit là-bas, on se doute pourquoi...) Judith, propulsée favorite d'une reine délirante qui vit son culte de la personnalité comme une malédiction et un bonheur absolu. On lit Les assoiffées avec un mélange de fascination due à la parfaite connaissance des mécanismes du totalitarisme et d'inquiétude parce que la manipulation fabuliste est évidente, et le plaisir de la caricature complet. C'est peut-être cela d'ailleurs qui affaiblit cet ambitieux roman, le trop est parfois l'ennemi du bien, et ce qui faisait le charme du Quiriny nouvelliste riche de références littéraires est souvent absent du fait de l'excès. Beaucoup de coups de pinceaux pour cette peinture fabuleuse, cette fresque glaçante dont on sort essoré et vaguement inquiet :le métier de libraire est majoritairement fait de femmes, comment réagiront-elles face à cette avalanche moqueuse de clichés ? Réponse dans un petit mois...