Chargement...
Chargement...


Payer son dû

8931_payer-son-d
Une actualité de David V.
Publié le 23/07/2013

Certains livres mettent du temps à venir au monde puis apparaissent enfin quand l'heure est venue. Celui, très bref et écrit en deux mois, qu'éditera Gallimard à la rentrée et signé François Sureau, un auteur doué qui nous avait impressionné avec Inigo, est de ceux-là. Le chemin des morts (publié chez Gallimard) fait à peine soixante pages, c'est un récit qui ne se dissimule pas derrière les artifices de la fiction. Le je est celui de François Sureau, "je" d'un homme mûr qui se penche sur son passé et revient sur un épisode qui l'aura éprouvé, marqué voire poursuivi pendant trente ans. C'est l'histoire d'un renoncement, l'histoire d'un jeune conseiller d'Etat qui a des exigences de vérité et se heurte très tôt à la raison d'Etat au point de ne plus pouvoir continuer. Nous sommes dans les années quatre-vingt, "loin" comme le suggère Sureau, comme s'il s'agissait d'une "avant-guerre" sans guerre réelle pour la couronner. Fraichement nommé au Conseil d'Etat, le jeune homme se voit affecté à la commission de recours des réfugiés, un poste où l'on ne se bouscule pas et où l'on travaille alors, cela a bien changé, de façon quasi artisanale puisque les juges et les rapporteurs étaient bénévoles. Pas de police, pas de gardien pour faire la sécurité, des locaux mal commodes, un air de négligence qui contraste avec le sérieux avec lequel le président en charge des dossiers assume sa mission. Personnage majeur du récit, Georges Dreyfus, Juif qui fut déchu de sa nationalité en 1940, résistant, suscite vite une vive admiration chez son protégé qui très vite se laisse emporter par son travail et qui, avouant sa passion pour le droit auquel il prête une dimension tragique, s'enthousiasme pour ces dossiers qui mettent en jeu la vie de réfugiés : refusés sur le sol français, certains risquent la mort. Adversaire forcené de l'indifférence, Dreyfus allie un sens de l'humain à une pratique précise de l'analyse juridique. Son jugement va être mis à rude épreuve quand il va s'agir de rendre un avis sur les réfugiés basques espagnols poursuivis dans leur pays pour des faits remontant parfois au franquisme mais ne bénéficiant plus, du fait du retour à la démocratie dans leur pays, du droit d'asile en France. Sureau nous replonge dans le sordide de ces années quatre-vingt où une police parallèle se chargeait d'exécuter les terroristes ou supposés tel en toute impunité, organisant une sourde terreur à laquelle l'était ne voulait pas trouver de réponse. C'est dans ce contexte que le personnage d'Ibarrategui, militant de la cause basque mais plus encore de l'anti-franquisme, autorité morale au-dessus des groupuscules frôlant le banditisme, apparaît : soupçonné d'avoir fait partie du commando ayant exécuté en 1968 le commissaire Manzanas, tortionnaire notoire. il s'est réfugié en France dès 1969 et s'est fait oublier. Son cas est jugé par l'administration, le jeune conseiller Sureau étant le rapporteur de ce cas : que faire pour que justice soit accomplie ? Ibarrategui est certain que si on le renvoie chez lui, il sera assassiné. Les juges français vont devoir choisir.

Nous ne préférons pas raconter plus en détail ce que ce livre très mince raconte à l'économie : comment un jeune juriste se trouve confronté au devoir de vérité, aux conséquences de son travail, comment porter le poids d'une décision dont on n'est pourtant que l'un des rouages ? Le chemin des morts (on vous laisse le soin de découvrir ce que cette expression recouvre) n'est pas une concession supplémentaire à l'autofiction en vogue qui bien souvent gratte des plaies refermées depuis longtemps et se complaît dans un égotisme suspect et creux. C'est un livre qui interroge aussi en nous notre part de lâcheté, notre inconséquence. Soixante pages qui comptent et pèseront leur poids au milieu des frivolités de la rentrée.

Abonnement

Derniers articles du blog "Ces mots-là, c'est Mollat" envoyés chaque semaine par mail