Paul Tremblay a bien étudié ses classiques avant de se lancer dans l’écriture. Amoureux des films/livres d’épouvantes et tout ce qui touche de près à la possession démoniaque, il en tire un petit bijou d’horreur.
L’histoire, contée en trois parties, est racontée par la fille cadette quasiment au jour le jour. Le père est au chômage, la mère a un goût prononcé pour l’alcool, et la soeur aînée est en pleine crise d’adolescence. Dans ce fouillis familial, la jeune fille Merry avoue une passion pour le monstre des forêts Bigfoot et pour sa soeur avec qui elle adore inventer des histoires. Mais quand cette dernière commence à agir étrangement (comprendre : parler d’une autre voix et déféquer dans le salon), Merry se doute que quelque chose cloche. Pas bête la petite. Le psychiatre ne semble pas avoir d’effets directs sur une amélioration de l’état de la jeune fille (comprendre : les médicaments n’agissent pas). Alors le père, totalement perdu, se tourne vers Dieu et la télé-réalité. Et si les deux pouvaient se mélanger? Ça les arrangerait bien puisque, financièrement, ce n’est pas Byzance.
Les voici donc filmés 24/24 avec prêtres à l’appui pour aider/sauver/faire de l’audience et toucher le pactole.
L’histoire est lancée et l’auteur se lance dans une réplique de L’Exorciste à la sauce 2018 de haute envergure. Mais faire un copier/coller serait totalement inutile voire même dangereux. Personne ne peut égaler William Friedkin (réalisateur du film) dans l’horreur. Mais là où on touche le Graal, c’est quand Paul Tremblay parsème à chaque début de nouvelle partie, un condensé du chapitre précédent avec analyse. Un bouquin d’horreur qui s’analyse lui-même ? Seule la saga Scream l’avait fait (comprendre : analyser le film dans le film). Tremblay (un nom pareil, ça ne s’invente pas) scrute chaque plan de cette « télé-réalité », compare chaque scène à la pop-culture, égratigne le genre, critique les médias de masse et un public de plus en plus blasé. On touche au firmament.
Mais comment le livre réussit-il à recycler un genre tombé dans la parodie? En choisissant notamment en héros, un personnage enfant, candide qui n’a aucune notion d’être adulte et qui reste persuadé que sa soeur joue pour appâter la galerie. A la manière du lecteur, elle découvre au fur et à mesure que l’intrigue avance, les secrets qu’on lui cache et découvre des facettes de ses proches qu’elle ne connaissait pas.
Mais pas que. Et c’est là que l’auteur tire toute sa gloire. Il met à mal les valeurs de la famille traditionnelle, fait passer les parents pour des pèquenauds qui ne s’aiment plus, qui ne comprennent plus rien à la société actuelle. Ils ont fait des enfants mais ont du mal à s’en occuper. Et ce n’est pas l’école qui va les réconcilier avec leur avenir. Délaissées, martyrisées, critiquées, les deux filles s’épuisent à comprendre le cycle écolier. On ne se suffit qu’à soi-même et l’auteur le démontre parfaitement.
Et pour illustrer cette histoire de possession démoniaque, rien de tel que de revisiter les grands classiques du cinéma d’horreur et de la littérature baroque. On est estomaqué par la soif de cette culture, par ce goût immodéré pour le cinéma de genre, pour les scènes de vomi dans les escaliers et les joutes verbales aussi amusantes qu’effrayantes.
Possession distille parfaitement une ambiance à la Conjuring/Paranormal Activity, une petite dose de frisson bienvenue avec un côté rétro (exorcisme & eau bénite dans une chambre glaciale) savoureux. Même le roi Stephen King, en couverture du livre, avoue avoir "tremblé de peur » à la lecture de ce roman qu’il aurait pu grandement écrire.
Mais ce qu’on retient en premier lieu une fois le livre fini, c’est le talent immodéré pour l’auteur d’avoir mis plus pas que terre les valeurs familiales tout analysant le cinéma de genre entre hommage et critique. Une belle découverte horrifique.