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Raymond Federman, mort d'un poète

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Une actualité de Véronique M.
Publié le 16/03/2016
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Raymond Federman devait venir le 28 avril dernier dans notre librairie,  à l'occasion de la parution de Federman hors limites, livre d'entretiens avec Marie Delvigne (éditions Argol). Au dernier moment, la rencontre avait été annulée et nous n'aurons plus le privilège de le recevoir : à l'âge de 81 ans, nous apprenons qu'il vient de nous quitter.

 

Pour ceux qui ne le connaissent pas, il était l'homme aux multiples talents, à la fois romancier, poète, critique, traducteur, surfictioniste, critifictioniste, jazzman, ancien parachutiste, ouvrier dans l'industrie automobile, golfeur fanatique, joueur de roulette, champion de natation !... Il est surtout reconnu aux Etats-Unis où une quarantaine de ses livres ont été publiés - seulement une vingtaine en France chez des éditeurs aussi divers qu'audacieux : Al Dante, Leo Scheer (voir l' hommage de son éditrice, Laure Limongi), Le mot et le reste, Les Impressions nouvelles, Le Bleu du ciel, Cadex ... De sa migration aux Etats-Unis en 1947, il apprendra à jongler indifféremment avec deux langues : sa langue maternelle le français et ses influences (Diderot, Céline, Ponge) , son anglais d'adoption et ses références littéraires (Sterne),  musicales (le jazz de Charlie Parker qui marque son écriture par son sens de l'improvisation, ses rythmes) et moult délires typographiques ! Il est le joyeux inventeur du "noddle novel" (littéralement, "roman de nouilles")  dès son premier roman quitte ou double publié en 1971 et réédité en 2004 par les éditions Al Dante/Leo Scheer.

Son oeuvre en apparence inclassable et déroutante par son bilinguisme - il écrit chaque livre à la fois en français et anglais - joue du plaisir du mot et de ses foisonnements homophoniques, en cela précurseur de Christian Prigent, Nathalie Quintane ou Christophe Tarkos, par exemple. Mais cette liberté formelle ne doit pas faire oublier que sous la légèreté et l'irrévérence se dissimule un traumatisme initial autour duquel ses textes ne cesseront de revenir. Né d'une famille juive, il échappe de peu à la rafle du Vél d'Hiv comme il le raconte. "Ce n'est pas moi qui ai choisi la vie. C'est ma mère qui m'a offert un surplus de vie lorsqu'elle m'a poussé dans le débarras, ce jour de juillet de 1942, et m'a chuchoté le premier mot de ce que j'allais devoir écrire : Chut... Ce chut signifiait, ne dis rien, reste là, et un jour fait de notre histoire de la littérature."(Ainsi, on pourra lire La voix dans le débarras ou encore Chut). La Shoah est pour lui une "énormité impardonnable" : Federman conjure l'impensable par l'écriture et le rire, proche en cela de ses amitiés littéraires et philosophiques : Beckett (Federman a dirigé le cahier de l'Herne qui lui est consacré) et Cioran (qui le fait rire !).

Son dernier livre Les carcasses venait de paraître pour cette rentrée littéraire chez Leo Scheer : tristement ou drôlatiquement prophétique ...  Dans cette fable, Federman use de la métaphore de la carcasse comme un ultime pied-de-nez à l'absurde de la condition humaine, une ode à la fois ludique et lucide à la vie, à l'image de son oeuvre. Un extrait, pour finir : " - la peur de mourir - et je pense ici au problème des humains -  il faudrait sans doute se demander si par exemple les poissons rouges ressentent également cette douleur au creux de leur petit estomac - pour savoir si eux aussi ils ont peur de la mort - ou s'ils s'en foutent complètement - ou peut-être se disent-ils la prochaine fois que je serai transmuté j'espère que je reviendrai en homme ou en femme - je préfère en femme avec de jolies jambes - parce qu'il paraît que les êtres humains n'ont pas peur de la mort - c'est pour ça qu'ils aiment s'entre-tuer inlassablement - voilà à quoi je pensais en admirant le paysage par la fenêtre de mon bureau ce jour où je foutais rien -".

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