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Reine amère

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Une actualité de Martine
Publié le 09/05/2013

queen_elizabeth.jpgQuel charmant moment passé en compagnie d'Alan Bennett, le célèbre dramaturge et romancier anglais qui fort de son culot et du respect que peut inspirer son statut de vedette littéraire, a osé à son tour s'emparer de la reine Elizabeth II pour en faire un personnage de fiction. Et quel personnage : une dame engoncée dans une étiquette qui lui colle définitivement à la peau, une vieille dame extrêmement sage dont la vie est cloisonnée par un agenda rédigé au millimètre et surveillé par des sbires ambitieux pour qui elle n'est qu'un symbole qu'il faut protéger même malgré elle . De toutes les façons, jusqu'au moment où commence le petit roman dont elle est l'héroïne, il n'y a rien à craindre : tocades, foucades, écarts sont des concepts inimaginables à la cour. Quelque chose va pourtant, sans rien qui permettait de le prévoir, dérailler dans le bel et sinistre ordonnancement de cette vie si tranquille. Un jour que la Reine rattrape ses insupportables chiens, elle se retrouve dans une partie du château où elle ne met jamais les pieds, une arrière-cour qui accueille une fois par semaine le bibliobus. Parce qu'elle est polie, définitivement et indécrottablement polie, Sa Majesté va se sentir obligée de salur les gens qui s'y trouvent, se sentir obligée d'emprunter un livre puis se sentir obligée, parce que les prêts n'ont qu'un temps, de rapporter son livre qui l'a d'ailleurs passablement ennuyée. Elle n'imagine pas, la pauvre Reine si peu habituée à se plonger dans un livre, elle qui a hérité d'une culture artificielle faite avant tout de savoir vivre insubmersible, que c'est le début d'un engrenage dont le roman va nous raconter le détail. Car une fois lancée, la voilà qui se prend aux sortilèges de cette activité dévoreuse de temps, de cette passion qui rend le train train royal insipide en diable. Devenue La Reine des lectrices, elle explore avec l'aide d'un jeune homme sans complexe des pans entiers des bibliothèques royales, se forge un goût, se remémore tous ces écrivains croisés lors de réceptions et auxquels elle n'a jamais rien trouvé à dire dans sa splendide ignorance des Lettres. Surtout elle met en émoi toute la royauté qui ne reconnaît plus sa placide souveraine dans cette excessive lectrice. Il ne faut pas en dire plus sur ce petit roman insolent en diable qui a le don de parler avec une fausse désinvolture de l'incroyable capacité des livres à bouleverser des existences tranquilles, vice (impuni, comme l'a si bien nommé Larbaud) qui répand son trouble et sa subversion l'air de rien. On dira juste que nous nous sommes tous régalés avec cette heure en compagnie de la Reine : au moment de tirer les rois, c'est de circonstance.

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