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Requiem algérien

1992_requiem-algerien
Une actualité de Véronique D.
Publié le 16/03/2016

plantation d'oliviers« C'était notre terre... ». Comment dire le passé des colons d'Algérie sans tomber dans le piège de la nostalgie coloniale comme le titre pourrait, à tort, le laisser croire ? Mathieu Belezi, dont les romans semblent s'ancrer davantage à chaque parution dans un décor méditerranéen, ose relever le défi de se frotter à un sujet que peu d'écrivains français ont tenté d'aborder de manière frontale et directe, la vie d'une famille française, grands propriétaires d'une terre africaine que l'Etat français leur a vendu pour une bouchée de pain. Le pari est osé parce que la blessure est encore vive, pansée par le poids des secrets, des choses tues, recouvertes avec soin par les témoins encore vivants d'une histoire très récente.

 Belezi fait entendre les voix de la famille Saint-Andrée/Jacquemain, propriétaires de Montaigne, « six cent cinquante trois hectares de bonne terre africaine » dans un roman polyphonique entêtant, obsédant par le souffle donné, les répétitions offertes par l'une ou l'autre voix comme autant d'échos, de résonances, de dissonances, parfois, comme si le rythme insufflé par l'auteur illustrait non pas une vérité mais bien une multiplicité de points de vue, de ressentis.

Tel un chef de chœur, Belezi ouvre la partition et lance les différents monologues : Hortense, née de Saint-Andrée tricote des pull-overs enfoncée entre les deux oreilles de son grand fauteuil pour les distribuer aux ouvriers en prévision des rigueurs de l'hiver, Ernest, son mari, officiellement chasseur de renards mais en réalité chasseur de jupons retroussés mourra sur le ventre d'une prostituée, Claudia et Marie-Claude, les deux sœurs, quitteront le domaine devant la peur mais ne pourront jamais tout à fait l'oublier, et Antoine leur frère, aurait hérité du domaine s'il n'était passé du côté des fellaghas et n'avait été abattu par l'OAS pour ses activités de poseur de bombe. Et puis il y a Fatima, « l'esclave, la bonne, la domestique, la femme de peine, la maritorne, la servante, la soubrette, la souillon », celle qui reste parce qu'elle n'a aucun lieu où aller, parce qu'elle n'a jamais été payée, celle qui a élevé les enfants de Montaigne en leur chantant des berceuses kabyles et en leur tenant les bras lors de leurs premiers pas sur la terre chauffée par le soleil, Fatima dévouée jusqu'à la fin à cette famille à laquelle elle a consacré sa vie entière.

Il règne dans ce roman âpre d'une singulière ampleur un souffle de tragédie : celle des guerres fratricides dont nul ne peut sortir indemne. Loin de toute sentimentalité et de tout jugement moral, Mathieu Belezi signe un livre dense à la construction virtuose, habité par une immense force d'évocation, sublime hommage à une terre déchirée par l'Histoire, aussi belle que violente.

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