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Rues des souvenirs obscurs

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Une actualité de David V.
Publié le 10/05/2013
A l'heure où on réédite joliment des oeuvres de Patrick Modiano en Quarto de Gallimard, un auteur français nous offre un roman qui ne méconnaît pas l'importance et le pouvoir des lieux sur les aventures qu'il met en scène. C'est flagrant avec le dernier livre de Franck Maubert, édité par Ecriture, qui s'orne en couverture d'une illustration du précieux Pierre Le Tan (dont on se souvient du lien avec Modiano) qui en dit long sur le projet littéraire de l'auteur. Le personnage qu'on y distingue paraît écrasé par les pierres qui l'entourent et cette architecture classique qui impose sa puissance. On comprend en ouvrant les premières pages de Ville close que Richelieu, la cité voulue par le cardinal de Louis XIII, hantera ces pages qui s'emplissent d'ombres et de fantômes. Ville rêvée tracée au cordeau par un prélat qui ne se refusait rien et rêvait d'un lieu parfait où il serait vraiment le maître, Richelieu (1) fut bâtie en une dizaine d'années (1642) par une armée d'artisans soumis à la cadence infernal d'un prince de l'Eglise qui voulait jouir de son utopie et obliger les courtisans à venir y faire construire des hôtels particuliers qu'ils se garderaient bien d'habiter. Des lignes droites et perpendiculaires, un château longtemps considéré comme un des plus beaux de France, riche d'une ahurissante collection d'oeuvres d'art, un microcosme qui a survécu à son créateur et qui se prolonge aujourd'hui, et fascine ceux qui la traversent. Cette expérience, d'évidence Franck Maubert l'a faite et son roman en est l'écho littéraire. Son héros, Julien Collardeau, fait l'expérience du retour : il a quitté Paris où il faisait le journaliste gastronomique pour s'installer, au coeur de la petite ville, dans la maison de sa tante défunte avec laquelle il vécut des amours avunculaires dont le souvenir le poursuit dès lors qu'il prend possession des lieux de son adolescence. Libre, sans doute trop puisqu'il est désormais chargé pour un journal de la rubrique "viande froide" (c'est-à-dire les nécrologies), il va tenter d'adopter ce lieu qui semble avoir été inventé pour qu'un certain silence y élise demeure. Evité par certains qui comprennent mal que l'on puisse venir dans ce lieu sans vie, invité par d'autres (un libraire d'anciens, un décorateur) qui espèrent en lui un camarade de détention, il va prendre la mesure de cet endroit où il sent confusément qu'il peut se réinventer. Mais on ne débarque pas en toute impunité dans un territoire voué au passé, quand bien même on essaie d'en déchiffrer les énigmes. Un corbeau salit de sa prose au ciseau les uns et les autres ; des morts brutales surviennent mais aucun Maigret ne survient pour éclairer ces troubles disparitions ; l'amour semble de nouveau possible pour notre héros sceptique. Le quotidien, où la trivialité vient se nimber d'un froid coupant qui bloque les esprits, nous est ainsi raconté sur le mode subjectif. La belle trouvaille de Franck Maubert est d'avoir intercalé, sans naïvement indiquer le lien, des épisodes de la vie du Cardinal aux prises avec sa création minérale, provoquant de légers chocs temporels dans le récit avec le portrait de cette figure auguste confrontée à la beauté et à l'absurdité d'un projet qui, des siècles plus tard, est devenu un décor brumeux, métaphore d'un monde qui finit. Roman d'ambiance, Ville close est une belle réussite, un livre plein de courbes et de sinuosités qui rend superbement hommage à un lieu où la ligne droite a trouvé en même temps son apogée et sa défaite. (1) On conseillera aux gens que fascine cette ville, le roman magnifique et méconnu de cet auteur surréaliste tardif, Maurice Fourré, qui situa  La Marraine de sel dans cette bourgade.

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