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Salade de Krudy

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Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013
Gyula KrudyOn peut croire Michel Ohl, le barde d'Onesse, fin connaisseur des vents de l'Est qui viennent souffler jusqu'à sa porte depuis de nombreuses années, lorsqu'il avoue sans hésiter que le plus grand des écrivains hongrois est Gyula Krudy et qu'il est regrettable qu'on le lise si peu. Sporadiquement des éditeurs se souviennent en quelle haute estime le tiennent ses compatriotes et notamment combien Sandor Marai, désormais auteur de best-sellers posthume, lui est reconnaissant (il a d'ailleurs écrit un ouvrage, encore inédit en français, où il paie sa dette à son ami). Et pourtant, la fréquentation de ce grand nom est faible quand Kosztolanyi ou Karinthy père et fils ont suscité un intérêt soutenu et beaucoup de publications ces dernières années. Il faut dire que Krudy leur ressemble peu, il est d'une autre époque, moins soucieuse de renouveau que cette fine équipe de la revue Nyugat qui transforma en profondeur les lettres magyares avant la deuxième guerre mondiale. Plus poétique, plus onirique, un rien nostalgique aussi de cette étrange époque de grandeur que connut la Hongrie à la fin du XIX° siècle, mais sans penchant pour l'épopée car ses héros sont banals en apparence, il s'invita une véritable Comédie Humaine avec près de quatre-vingts romans et des centaines de récits et chroniques (qu'on ne cesse de retrouver d'ailleurs) dispersés tout au long de sa vie (1878-1933). Et de cette imposante masse littéraire, nous ne connaissons qu'une très petite partie au gré des rares traductions parues chez nous depuis vingt ans. Il faut donc rendre hommage à l'excellente et jeune maison Cambourakis d'avoir initié une très élégante collection hongroise (1) dans laquelle vient de paraître Les beaux jours de la rue de la Main-d'Or, recueil de nouvelles à la gloire de cette Budapest que personne n'a mieux dépeinte que Krudy, une ville mythique et rêvée traversée par des figures qui s'agitent, s'inquiètent ou s'ébattent. Si la nostalgie n'est jamais absente, c'est qu'elle traverse toute son œuvre comme si G.K. était l'héritier d'un Age d'or dont il ne serait qu'un faible écho : sa préface au recueil, en plus d'être un petit bijou de dérision, est très instructive car elle nous rappelle qu'il se tournait plus volontiers vers le passé, cette époque de lenteur et de contes, que vers l'harassant présent. Publié en 1916, en pleine guerre, ces Beaux jours n'ont pourtant rien de furieux, ils semblent s'abstraire de la folie d'un monde qui se détruit, réfugiés derrière les hautes murailles de l'imaginaire. Lire Krudy c'est d'ailleurs à chaque fois renouveler l'expérience du retrait, c'est changer de vitesse, et cela explique sans doute pourquoi ses rares lecteurs sont fervents et surtout pourquoi…ils sont si rares. "Les rêves sont des gouttes de sang" écrit-il dans une des nouvelles, ces "chères fripouilles" qu'il poursuivra toute son existence, elles habitent son œuvre et lui donnent cette étoffe si particulière. On aura donc tout intérêt à écouter la parole de Michel Ohl : il faut lire Gyula Krudy !
(1) On y trouve deux textes de Milan Füst (Précipice et Histoire d'une solitude) et un Frigyes Karinthy (Reportage céleste de notre envoyé spécial au Paradis)

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