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Sam Taylor est riche ...

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Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013

Sam TaylorSi je m'en souviens bien, nous nous étions promis de ne pas faire de jeux de mots avec le patronyme de ce jeune romancier. Las, au moment d'écrire le titre de ce billet la tentation a été trop forte et l'oubli l'a emporté. On nous pardonnera cette légèreté qui ne doit pas masquer le grand intérêt qu'a suscité L'Amnésique, roman parmi les plus intéressants que nous offre Le Seuil pour cette rentrée. La presse anglaise n'a pas été très tendre avec ce roman jugé parfois trop riche, trop référencé, affiché trop borgésien en des temps où on met le grand argentin à toutes les sauces. C'est pourtant faire peu de cas de l'incroyable montage de ce roman, qui s'il souffre d'excès de brio justement, ce qui est la remarque la plus fréquente adressée aux débutants soucieux de trop en faire, possède un charme mystérieux qui condamne le lecteur à ne pas quitter cet esquif très chargé. Les romans sur la mémoire constituent une classe à part dans la littérature tant ils possèdent de ressources romanesques et autorisent les distorsions temporelles : si l'on n'avait crainte d'en oublier de très célèbres, on pourrait établir la liste des héros amnésiques qui déambulent au milieu des trous noirs à la recherche d'une vérité qui leur échappe. James Purdew, le narrateur du livre de Sam Taylor (1), ne recherche que trois années disparues de sa jeune vie (il est à peine trentenaire) mais il est persuadé que ce blanc dans son esprit cache un drame dont il ne veut plus être exclu. C'est donc en détective privé de ses propres pas oubliés qu'il va tenter de remonter à la source, renonçant à l'amour d'une femme prête à lui offrir une existence rangée pour fouiller le passé, revenant dans la ville de ses études, dans la rue qu'il soupçonne être le théâtre de son basculement, aidé par de brèves et douloureuses épiphanies, éclats de souvenirs douloureux qu'il ne réussit pas à ordonner. L'histoire est tellement complexe que la résumer reviendrait à oser un coup de force car notre héros se lance dans l'écriture en composant les "Mémoires d'un amnésique" à partir du chapitre 5 pour remonter à la zone d'ombre, il découvre le manuscrit d'un roman victorien qui est l'écho de sa propre vie, il enquête sur des individus dont il ne sait plus rien et qu'il croit deviner dans des figures croisées par hasard, il gesticule puis se réfugie dans le silence, il ose puis se morfond, il se montre ou au contraire se terre, bref il exaspère le lecteur qui refuse de l'abandonner avant qu'il ait redécouvert son secret. Balancé entre l'espoir et la peur ("Il les avait toujours considérées comme radicalement opposées : l'une blanche, l'autre noire ; l'une positive, l'autre négative. Mais il percevait à présent qu'elles étaient davantage des reflets l'une de l'autre, comme si chacune était la copie inversée de l'autre (...) Qu'est-ce que la peur, en effet, sinon l'espoir noyé dans l'obscurité ? Qu'est-ce que l'espoir sinon la peur baignée de lumière ?"), James est hanté par l'idée de savoir et de découvrir une part de lui qui lui rendra son intégrité mais il panique en réalisant sporadiquement que ce trou dans ces agendas cache la preuve de sa face sombre, et c'est là toute la thématique de ce faux roman policier, un "roman policier réaliste" comme le dit son narrateur qui rêve d'un "polar existentiel où la réponse ne serait pas donnée, claire et logique, à la fin, mais seulement entraperçue, ou à demi-saisie, à divers moments du récit ; où elle serait pressentie tout au long, comme un air lancinant qu'on n'arrive pas à se rappeler vraiment, mais jamais nettement définie, jamais perçue dans sa totalité (...) bref, pas une chose vers quoi l'on tend, mais autour de quoi l'on tourne indéfiniment." Existe-t-il des moyens de fuir sa propre histoire ? Avec le cas particulier de James Purdew, c'est à cette question que le brillant Sam Taylor tente de répondre, et ses solutions sont, bien entendu, imaginaires. Les amateurs de tournis et de tourbillon seront donc comblés par ce roman foisonnant qui nous fait pénétrer dans un labyrinthe (d'où, évidemment, le prince des labyrinthes, Borges, qui éclaire de ses réflexions subtiles tout le roman qui en est comme un écho fasciné) dont il nous faudra sortir coûte que coûte, fatigués mais ravis.

(1) Sam Taylor est né 1970 en Angleterre, il a grandi dans le Nottinghamshire. A l'issue de son passage à Hull en Caroline du Nord où il étudie la Littérature américaine et rédige un essai sur "Bruce Springsteen et le Rêve américain", il se lance dans la vie littéraire, devenant presque accidentellement journaliste à l'Observer malgré son désir de voyager dans l'Europe du Sud. Après huit ans de presse, il quitte son journal pour s'installer près des Pyrénées. Il y est désormais un écrivain "à temps plein", ce qu'on lui souhaite le plus longtemps possible...

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