Chargement...
Chargement...


Serena l'enragée

2420_serena-l-enragee
Une actualité de David V.
Publié le 19/03/2016

serena.jpgUn pied au paradis nous avait conduits dans l'enfer blanc et sec d'un fait divers de l'Amérique d'après-guerre : un roman puissant qui faisait penser au meilleur de Cormack McCarthy multipliant points de vue et diachronie de la narration. Un bel uppercut qui demandait à confirmer le punch de son auteur, Ron Rash, dont nous attendions avec fébrilité le nouvel opus. Le voilà, et il envoie du bois ! On nous abreuve de romans forestiers vantant avec une larme souvent amère les joies sublimes de la vie au milieu des bois, du bonheur de têter les souches, de l'ivresse de gambader comme une biche loin des fumées humaines. Certains en ont même fait un fonds de commerce éditorial  : natural writing nous dit-on, et voilà que le marketing que l'on dédaignait du bout du pied vous remonte le long du mollet... Avec Rash, les bons sentiments ont été enfermés au fond d'une remise et on a jeté le cadenas. L'héroïne de son livre porte la culotte et le couteau qui l'accompagne ; elle monte à cheval un aigle au poing ; elle parie avec les hommes et tant pis pour eux s'ils perdent ; elle pourchasse de sa haine le moindre de ses ennemis et c'est sanglant ; elle porte la vengeance en étendard et se moque de la justice des hommes. La forêt, elle la traverse pour la déboiser, l'anéantir, en tirer tout ce qui est possible avant de s'attaquer à un nouveau territoire. Le mari qu'elle s'est trouvée est condamné à la fascination et malheur à lui si le batard qu'il a conçu avant de la connaître grandit. Il y a longtemps, très longtemps, qu'on n'avait découvert une telle figure féminine, fille du feu qui brûle ce qui lui résiste et survit aux flammes d'un enfer qu'elle sait attendre, sereine. Sur fond de crise économique des années 30 où la misère est tellement sordide qu'on guette la mort des bûcherons pour prendre leurs places, Serena plante un décor sans cesse bouleversé par le travail destructeur de l'homme qui anéantit son monde au nom du seul profit, ce n'est pourtant pas un manifeste contre l'argent-roi, les pourris qui se gobergent sur le dos d'un prolétariat sans la moindre tentation politique. Le manichéisme oppose plutôt le Bien, représenté par des êtres frustes qui ont plus l'instinct de celui-ci que son idée, au Mal, incarné par une créature qui ne se justifie jamais, installée à une table rase qu'elle nettoie d'un revers terrible. Entre les deux, comme dans les comédies élisabéthaines, un groupe de parleurs, drôles et fatalistes, qui commentent l'action en espérant y échapper, des frôleurs de mort dont l'heure viendra, ce qui rend leurs répliques encore plus grinçantes. Voilà un roman sur lequel on risquerait vite d'être bavard. Un libraire s'étant proposé de rédiger un coup de coeur sur le site, nous n'avons donc pas fini d'évoquer ce livre, la première bonne baffe de la rentrée.

Abonnement

Derniers articles du blog "Ces mots-là, c'est Mollat" envoyés chaque semaine par mail