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Ses bibliothèques

180_ses-bibliotheques
Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013

Varlam ChalamovCertains livres sont tellement fins qu'on pourrait presque se soupçonner de ne pas les avoir vus passer et se rassurer ainsi à bon compte. Les éditions Interférences dirigées avec ferveur par Sophie Benech qui a traduit à elle seule la moitié du catalogue, est une maison rare très inspirée par un fort vent d'est et qui, en une vingtaine de titres parus avec une irrégularité de bon aloi, s'est forgée une identité réelle qui nous fait désormais regarder avec attention ses découvertes. D'où notre culpabilité d'avoir si souvent frôlé Mes bibliothèques de Varlam Chalamov sans prendre le temps de nous y arrêter. Cinquante pages à peine sauvées de ce néant que l'écrivain russe longea pendant si longtemps, cinquante pages pour nous raconter l'impossible conquête de la plus grande des libertés, ce luxe impensable dont nous oublions souvent la nécessité : posséder une bibliothèque, des livres à soi, à lire et relire à tout instant. Chalamov n'a quasiment rien publié de son vivant, il a passé des dizaines d'années au goulag (la Kolyma dont il fut le plus grand écrivain et dont les Récits ne paraîtront en Russie qu'à la fin des années 80), en exil, dans la misère ; il est mort en hôpital psychiatrique, et jamais, jamais il n'a pu posséder cette bibliothèque. Alors quand on découvre le récit modeste et intense de sa connivence interdite avec les livres, les aléas de sa vie de prisonnier condamné à des bibliothèques ineptes, forcé de se cacher pour lire, magnétisé par la découverte d'un fonds unique dans un lieu perdu, à bout de force mais revigoré par une malheureuse page, porteur d'un seul livre de Grine comme viatique, on comprend le sens de sa phrase : "les livres, c'est un monde qui ne nous trahit jamais" car ils furent ses seuls alliés dans un monde déserté par le sens. "Les livres sont des êtres vivants", nous dit cet homme revenu du pays de la mort blanche, ils sont notre immortalité et ce que nous avons de meilleur en notre vie. Quand ces mots, si brefs et simples, sans emphase, sont écrits par un écrivain d'une telle puissance, étranger à tout milieu, toute pose ou posture, ils prennent un relief troublant qui doit nous faire regarder les livres qui nous entourent d'une autre manière, à la fois plus responsable et plus modeste. Un livre, un seul, peut sauver une âme. Mes bibliothèques de Chalamov, ce mince opus qui va disparaître au cœur de vos étagères, mérite qu'on n'ignore pas sa finesse.

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