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Sous le signe du Scorpion

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Une actualité de David V.
Publié le 25/03/2016
La revue Capharnaüm des bordelaises éditions Finitude nous offre chaque année un rendez-vous rare en s'intéressant à cette littérature qui fait le bonheur de petits cercles mais n'a souvent pas droit à la reconnaissance des universitaires ou des spécialistes, ce que l'on ne souhaite pas non plus d'ailleurs. Composée d'inédits, de correspondances, de textes rares dégottés dans des revues impossibles, elle offre un point de vue qui nous rappelle que c'est souvent dans les marges qu'une belle littérature s'épanouit. On a ainsi pu lire des textes et des lettres de Jean-Pierre Martinet, se réjouir d'un numéro consacré au macabre, découvrir des inédits de Marc Bernard, Georges Hyvernaud, Eugène Dabit, Georges Arnaud, sans oublier le fondamental Michel Ohl. Le quatrième numéro de cette revue qui prend son temps nous permet de voir réapparaître ces patronymes dans un contexte plus inattendu puisque l'intégralité de celui-ci est consacré à la singulière maison d'édition du Scorpion, célèbre pour ses couvertures rouges et pétaradantes dont on voit parfois chez des bouquinistes agoniser de vieux exemplaires maltraités par le temps qui ne les ménage pas (faut avouer que question impression, c'était pas fameux...). Le Scorpion c'est avant tout l'histoire d'un homme, Jean d'Halluin, qui se lança très jeune dans l'aventure et fit de l'acrobatie un mode de fonctionnement, osant le salace et le scandaleux dans l'après-guerre qui découvre une nouvelle forme de censure, jonglant avec une trésorerie défaillante mais jouissant autant que possible de la vie nocturne germanopratine. Flanqué de son frère, il se lance sans le sou mais avec un culot monstre, allant jusqu'à créer des prix littéraires qu'il ne remet qu'à ses propres livres. Coup de chance ou de génie, c'est lui qui, ayant compris l'intérêt bouillonnant pour une nouvelle littérature venue d'outre-Atlantique dont la Série Noire de Marcel Duhamel sera l'étendard, incite Boris Vian à parodier le roman américain et a inventer Vernon Sullivan dont le succès se doublera d'un scandale qui fera une publicité du tonnerre à la maison balbutiante. Quatre Vernon Sullivan sortiront sous la fameuse couverture, au milieu des livres de Raymond Guérin, Hyvernaud, Maurice Raphaël (grand auteur oublié ou presque), Léo Malet, Raymond Queneau (sous le nom de Sally Mara) ou Raymond Marshall. Cette aventure éditoriale fait l'objet de la première partie du numéro et nous permet de découvrir les aléas parfois peu reluisants d'une vie d'un éditeur qui achèvera sa carrière dans le compte d 'auteur dissimulé et mourra de façon précoce, noyé dans l'alcool. C'est la petite histoire du métier mais cela nous éclaire bigrement sur cette atmosphère de l'après-guerre où le bouillonnement était le mot d'ordre. L'autre intérêt de ce volume est la correspondance entre d'Halluin et Raymond Guérin, pas tant pour les échanges autour de la littérature, inexistants, que pour saisir de l'intérieur la condition de l'écrivain d'après-guerre. En l'occurrence c'est un cas qui nous est présenté, et qui plus est un Bordelais (sa maison est désormais ornée d'une plaque Place des Martyrs de la Résistance), un cas parce qu'en un mot comme en cent, le grand écrivain est épouvantable de trivialité quand son interlocuteur manifeste un talent conjoint pour la tchatche et le bluff. Du côté de Guérin ce ne sont que comptes, demandes d'argent, exigence sur les tirages, les volumes, les à-valoir, les pourcentages, les recommandations. Du côté de d'Halluin c'est fuite, évitement, excuses (le coup de l'oncle est inénarrable, d'Halluin prétendant aux auteurs que c'est lui qui détient les clefs du coffre et de l'argent et lui prêtant mille soucis imaginaires), problèmes chroniques de liquidités. Les deux s'entendent et se parlent en amis...jusqu'au jour où l'éditeur manque la date de versement promis pour l'à-valoir et c'est la rupture signée Guérin, violente, impérative, définitive. L'auteur n'en sort pas grandi, surtout lorsqu'on découvre qu'il a placé une police d'assurance à son jeune éditeur incapable de régler ses traites et qui se fait tancer parce qu'il risque lui faire manquer sa prime... On s'extirpe de cet échange un peu perplexe et finalement plus touché par les soucis d'un éditeur qui fait le funambule que par les injonctions d'un écrivain qu'on eut plus volontiers imaginé serein et grand seigneur (voire petit seigneur...). Les écrivains ne devraient pas garder leur correspondance... Ce volume de Capharnaüm s'achève par une belle bibliographie de la maison avec un choix de ses couvertures inoubliables. Bref, encore un de ces numéros d'anthologie à ne pas louper. Et c'est en librairie le 16 mai.

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