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Trois femmes puissantes et un écrivain génial

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Une actualité de David V.
Publié le 24/08/2013

Marie NDiayeLa surchauffe du jour n'est pas due seulement à notre panne de climatisation qui fait de nous des écologistes militants pour les économies d'énergie (et des libraires assoiffés...), non, ce qui nous anime et nous fait nous activer depuis hier avec frénésie c'est cette fameuse rentrée qui commence désormais tellement tôt que les vacanciers la découvrent avant même de regagner leur région natale, chaque éditeur s'échinant à occuper le premier les tables où les places sont chères. Soixante titres au bas mot sont ainsi sortis des cartons entre hier et aujourd'hui, condamnant à regagner les rayonnages des romans qui pensaient terminer l'été en piles, soixante avec, parmi eux, certains de nos favoris qui ont pris leur aise dans des places de choix.

C'est peu de dire que le nouveau roman de Marie NDiaye était attendu avec fébrilité, d'autant que sa dernière "rentrée" remonte à 1996 et que, depuis, elle a acquis une stature qui la place au sommet des auteurs français capitaux. Si on en juge par les magazines où son portrait apparaît avec constance, la voilà donc "incontournable", terrible mot qui donne l'impression qu'on va assez vite passer à autre chose au nom du sacro-saint rituel de l'actualité. Car si Marie NDiaye est actuelle, si les sujets qu'elle aborde résonnent étrangement en nous et sont sans doute les échos de sa perception du monde d'aujourd'hui, d'événements qui ont pu la marquer, nous avons la certitude qu'elle engage dans ses livres une suite de visions qui survivront au temps qui les a vues naître, que l'univers littéraire qui est le sien et qui suscite souvent de l'interrogation - parfois de l'incompréhension - sera accessible au plus grand nombre à la manière d'un Faulkner en son temps... Mais pour l'heure, trêve de généralités grandiloquentes, Trois femmes puissantes vient de nous parvenir et, au risque de nous répéter, nous pensons que c'est un chef-d'oeuvre qui vient à la fois prolonger les thèmes de ses précédents livres et choisir une manière différente de les explorer. Le livre est constitué de trois parties qu'on qualifierait plus volontiers de mouvements comme dans une oeuvre musicale, d'autant que chacune est éclairée d'un contrepoint. Les protagonistes changent, les décors en partie aussi, mais le thème musical, décliné de trois façons, reste le même, comme une ligne de basse continue et obsédante à laquelle on ne peut échapper. Fragmenté mais unique - le premier qui parle de nouvelles s'exposera aux pires conséquences...- le roman nous interdit de nous installer dans le confort de la linéarité, cet héritage du XIX° siècle qui nous conditionne lorsqu'on nous propose des destins de personnages : à peine adopté, l'héroïne ou le héros disparaît et laisse sa place à un autre, brisant en nous la tentation de l'identification. La géographie, par ailleurs, nous écartèle entre France et Afrique, lieux de la fuite ou du renoncement. Norah, la protagoniste du premier "mouvement",  a quitté la France sur ordre de son père pour le rejoindre en Afrique où ce despote paternel qui l'a toujours méprisée lui réclame son soutien pour défendre un frère jeté en prison. Jeune avocate qui a gardé le souvenir d'un homme portant beau et odieux, elle se retrouve confrontée à celui qui abandonna sa mère puis épousa une femme aujourd'hui morte tuée par un frère presque oublié qu'il s'agit désormais de sauver de la justice mais surtout de lui-même. Le second volet nous ramène en France, dans un petit morceau de campagne de notre doux pays si propre et si policé, où nous assistons aux gesticulations pathétiques et souvent drôles d'un petit Blanc qui a quitté l'Afrique où il régnait en maître, nanti d'une belle épouse noire, pour son coin de Gironde où il rumine ses défaites et la haine de la pétillante Fanta, cette puissante femme que nous n'entendrons pas, absente et impérieuse. Personnes déplacées, telles sont ces figures qui semblent n'avoir plus de port d'attache, qui réclament une humanité que leur famille et a fortiori le monde ne leur donnent plus, qui cherchent à comprendre et ne se comprennent plus elles-mêmes. Etrangers, définitivement étrangers. Ce thème obsédant qui revient depuis toujours dans les oeuvres de Marie NDiaye où les héros ne parviennent plus à rejoindre leur famille (génial En famille), où toute reconnaissance leur est déniée, trouve ici une incroyable expression, amère ou violente, insupportable et attirante. Avec la troisième partie du livre, c'en est fini de personnages occidentaux : Khady Demba, dont le nom claque comme un cri dans le silence révoltant, est une clandestine africaine, une moins-que-rien qui est condamnée à rejoindre l'Europe parce que sa belle-famille ne veut plus la nourrir. Et qui va accomplir une sorte de chemin-de-croix (l'image paraît hardie, mais pourtant quelle figure de rédemption), livrée à des crapules, blessée, abandonnée, prostituée, loin d'un ailleurs que nous savons pas meilleur, personnage qui irradie tout le livre et pour lequel Marie NDiaye a trouvé une voix, cette voix qui magnifie et déchire, cette voix légère qui vous griffe et vous entaille. Une voix puissante en somme comme les Femmes qu'elle nous offre. Alors peu importe l'actualité, peu importe ceux qui réclameront un prix littéraire pour ce grand livre, peu importe, reste à lire sans retard Trois femmes puissantes.

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