Au départ, on se dit que c'est un pauvre type maladroit, un ce ces quadragénaires dépassés qui ne savent pas parler autrement à leurs enfants devenus adolescents qu'en les houspillant du matin au soir. Et puis rapidement, on comprend. On comprend l'usage du passé, les errances et le ressassement. On comprend les pensées obsessionnelles, les blocages, les itinéraires modifiés. Oui, on comprend que Colin n'est pas n'importe quel quadra has been, il est le père d'un jeune garçon baptisé Clément qui vient de disparaître brutalement, fauché par une rame de métro. Que faire ? Comment dépasser le stade du choc et déchiffrer cet événement aussi absurde qu'imprévisible ? Comment vivre le deuil de ce fils dont il ne voulait même pas au départ, mais dont l'existence a inexorablement changé le cours de sa vie ? Comment continuer à avancer alors que depuis douze ans, toute ses décisions étaient dictées par cet être parfois fascinant mais le plus souvent agaçant avec ses pantalons baggy, son rap et son vernaculaire de bad boy ? Comment pénétrer, enfin, dans le jardin secret de cet enfant, ce monde virtuel et crypté - XXIe siècle oblige - peuplé de fichiers mp3, de pages internet et d'amis facebook à impressionner ?...
Avec ses allures de monologue intérieur, Tu verras plonge le lecteur dans la tête de cet homme en proie au désoeuvrement le plus total. On y lit la douleur d'un père, l'incompréhension face à l'indicible, l'impensable, l'inimaginable, ce qui est sensé n'arriver que dans les films, ou à la rigueur aux autres, mais certainement pas à lui. Nicolas Fargues nous immerge dans la chaleur de ce Paris estival, alors que l'on est happé par les errances de cet homme en quête de sens, ou au contraire, d'abrutissement, avant de s'envoler en dernier recourt pour le Burkina Faso (le tropisme de l'auteur pour l'Afrique n'est plus un secret, souvenez-vous du génial J'étais derrière toi).
Si Nicolas Fargues fait certes partie de ces jeunes auteurs français que nous aimons bien - sans doute ses yeux bleus et son sourire y sont-ils pour quelque chose... - il faut bien avouer que ce dernier roman fait partie des plus aboutis qu'il lui ait été donné d'écrire !
F.A.