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Un amour immaculé

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Une actualité de David V.
Publié le 28/11/2014

Sylvain KermiciEntendre une voix dans un premier roman n'est pas une expérience si fréquente. Du bruit oui, la littérature débutante n'en manque pas qui sait bourdonner, rugir, bégayer, souffler derrière des personnages qui dissimulent mal leur créateur tout gonflé de son importance et de son supposé talent. Nous en lisons toute l'année, à l'affût de ce qui fera la différence, cette signature, cette empreinte qui ne s'estompe pas aussitôt le livre refermé. Certains sont brillants, cultivent une idée avec ce brio qui est l'apanage de la jeunesse, s'amusent des richesses de notre langue mais tout cela sonne creux. D'où vient alors qu'avec Sylvain Kermici, dont nous ne savons rien, ni l'âge ni les antécédents, ce qui n'est pas pour nous déplaire, cette voix se fait entendre dès les premières lignes avec cet inquiétant voussoiement : "Vos parents sont morts et vous êtes seul". Nous voilà d'emblée dans le face à face mais avec cette distance qu'impose le vous. Qui parle et à qui ? De quoi allons-nous être témoins ? En brouillant le principe narratif par cet usage de la deuxième personne du pluriel, l'auteur nous tient et nous contraint à écouter ce qu'il veut nous raconter. Car si ce vous est un autre, difficile de ne pas le lire comme une adresse, une violence qui nous est faite de rester muet face au drame qui peu à peu prend forme. Hors la nuit est le récit de la corrosion de l'intérieur d'un être qui cherche à comprendre et s'emmure peu à peu dans une folie qui quête la lumière de l'amour quand tout n'est que ténèbres. Quelques personnages à peine dans un décor épuré, le grand frère Antoine qui a réussi dans la vie (il a une femme, enceinte, une voiture, un pavillon, un métier, un projet : la réussite, la vraie !), son épouse Isabelle (elle a un mari, futur père, une maison, un projet, une famille) et le petit frère (il a un métier, sordide puisque dans un bureau toute la journée à pratiquer une activité dont nous ne saurons rien) qui est le protagoniste principal, celui que nous allons suivre pas à pas dans le lent glissement vers l'autre monde, celui de la démence qui n'est parfois que l'autre nom de l'amour fou. Il s'est peu à peu persuadé qu'il n'a jamais été aimé et qu'en plus il ne le sera probablement jamais, vouant son existence qui s'éloigne de la sphère sociale à un but unique mais impossible  : "comprendre, comprendre pourquoi". Mais son orbite s'éloigne, sa vie se rétrécit, ses relations s'éteignent, à mesure que les vagues d'angoisse déferlent sur lui et qu'une obsession le gagne qui a pour nom Isabelle cristallisant sa douleur d'être absent au monde des autres. Avec lenteur et quelques mots, sans circonvolution, Sylvain Kermici montre l'asphyxie du personnage dans un univers tout de gris, un personnage acculé par la menace qui semble surgir partout. Tendu, économe, le récit vous saisit et ne vous lâche plus. Paru dans la Série Noire de Gallimard, Hors la nuit rappellera d'abord que cette honorable collection, en accueillant de jeunes auteurs doués, n'est pas vouée à la célébration d'un genre disparu. Reste à espérer qu'il tombera entre les mains d'amateurs de littérature qui y verront autre chose qu'un roman noir de plus. Car un écrivain est né, ce n'est pas si fréquent.

http://youtu.be/3xt2K_i8wa0?list=UUhlgQPMcuuhz4WchHqMIxBQ

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