Au nom de Paul-Jean Toulet, peu de gens, même cultivés, réagiront.
Au son de ces vers :
Dans Arles, où sont les Aliscans
Quand l'ombre est rouge sous les roses
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd
Et que se taisent les colombes
Parle tout bas si c'est d'amour
Au bord des tombes
les réactions se feront plus vives. On a entendu ces vers merveilleux mais on ignore tout de leur auteur. C'est le destin posthume de Toulet, cet immense écrivain, béarnais d'origine (ce qui lui permet de voir son patronyme orner le fronton de collèges, large gloire) que de rester méconnu ou apanage des amateurs de littérature fin-de-siècle. Frédéric Martinez, déjà auteur d'un livre sur un autre méconnu Maurice Denis, a eu la superbe idée de s'attaquer à ce vide illégitime et nous convie à une rencontre qui rend justice à ce styliste hors pair et voyageur de talent. Mais ce livre "n'est pas une biographie. C'est l'histoire d'un poème."
Le prologue d F.Martinez joue la carte du lapidaire pour mieux nous renvoyer à notre méconnaissance :
"P.-J.Toulet naquit à Pau en 1867. il mourut à Guéthary en 1920. Il écrivit des livres. Le plus célèbre d'entre eux, Les Contrerimes, fut publié après sa mort. Dans ce recueil de poèmes amers et brefs, il sut imposer un style personnel tissé de classicisme et d'irrévérence. Contemporain de Proust, Apollinaire, Toulet fut une figure du Paris 1900, un opiomane notoire et le chef de file de l'école fantaisiste." Ou comment résumer, réduire, compresser un destin en faisant fi d'un mal de vivre qui le poussa à ce raffinement suprême, cette élégance qui séduit à chaque fois.
Né dans "un pays âpre et harmonieux", PJ comme le surnomme son biographe, orphelin à la naissance, va mener une vie où les parfums et les nostalgies de l'enfance s'inviteront sans cesse, enfance voyageuse (il vivra notamment à Maurice) d'un garçon choyé des femmes et qui sent naître tôt sa vocation d'écrivain. On n'aura pas le culot de reprendre le fil de ce travail qui impressionne par son exactitude jamais excessive et par une finesse et une retenue qui n'interdisent pas la sincérité. On croyait connaître Toulet et on ne cesse d'en apprendre. D'autant que la parti pris des très courts chapitres donne un rythme qui fait souvent défaut aux biographes bien intentionnés mais dévorés par leur sujet. Frédéric Martinez aime l'auteur et le "partage" sans cette dilection des happy few pour l'isolement ou l'élévation au rang de mythe, un statut auquel Toulet, on peut s'en louer, n'aura pas droit. Au sortir de ces 350 pages qui filent, on n'éprouve plus qu'une envie, filer dans sa bibliothèque et replonger dans les oeuvres complètes du fantasque béarnais, car elles existent et c'est une chance dont il ne faut pas oublier de se féliciter.
Prends garde à la douceur des choses, Tallandier, 20 €