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Un désir sans fin

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Une actualité de Emilie D.
Publié le 05/01/2016

lapeyreCela faisait presque six années que nous attendions de nous plonger dans un nouveau roman de Patrick Lapeyre, qui nous avait ébloui avec La vie est brève et le désir sans fin, un Jules et Jim des temps modernes inoubliable. Voilà que notre attente prend fin aujourd'hui, et que nos espoirs d'être à nouveau emportés et séduits par sa langue sont entièrement satisfaits.

D'emblée, Patrick Lapeyre fait mouche par le choix de son titre. Pour son précédent ouvrage, nombre de lecteurs s'étaient emparés de l'expression "La vie est brève est le désir sans fin" pour en faire un adage sur l'amour. Le titre de ce nouveau roman interpelle encore, mais pour d'autres raisons. Les amateurs de poésie reconnaîtront l'allusion à William Wordsworth et à son ode intitulée "Intimation of immortality from recollections of early childhood" / "Pressentiment d'immortalité venant des souvenirs de la petite enfance". Les cinéphiles quant à eux penseront immanquablement au chef-d'œuvre d'Elia Kazan intitulé "Splendor in the grass" - traduit en français par "La Fièvre dans le sang" - l'histoire d'un jeune couple d'amoureux confronté à la pression sociale et condamné à se séparer.

Elia Kazan avait choisi de citer les vers de William Wordworth à la fin de son film, Patrick Lapeyre, lui, les a insérés en exergue de son livre, comme pour rendre directement hommage au poète :

What though the radiance wich was once so bright Be now forever taken from my sight, Though nothing can bring back the hour Of splendor in the grass, of glory in the flower; We will griev not...

Qu'importe si l'éclat aujourd'hui si brillant Est aujourd'hui soustrait à ma vue pour toujours, Si rien ne peut ramener l'heure Des rayons glorieux sur l'herbe et sur la fleur: Ne nous affligeons pas...

Mais si Kazan reproduit la suite du vers et le suivant, Lapeyre s'arrête là, alors que le poème nous dit la chose suivante:

...rather find Strenght in what remains behind;

... mais cherchons bien plutôt La force dans ce qui demeure

Et si ces quelques mots manquants pouvaient nous servir de clé pour comprendre le roman de Patrick Lapeyre ? Trouver la force dans ce qui demeure, voilà bien ce qui manque à nos deux héros, Homer et Sybill, amoureux éconduits par leurs époux, partis vivre ensemble à Chypre. Les deux personnages se croisent souvent, d'abord pour prendre des nouvelles de leur moitié expatriée. Ce motif sert ensuite de simple prétexte à leurs rendez-vous, de plus en plus fréquents. Les conversations sont toujours les mêmes, et pourtant tout change petit à petit. La Splendeur dans l'herbe raconte ainsi les balbutiements d'une histoire d'amour chez des héros - ou plutôt des anti héros- malheureux dont toute la difficulté est de s'extraire de leur solitude, d'oser exprimer leur sentiment et finalement de parvenir à profiter de l'instant - tout est question de désir, encore une fois.

Au récit de cette relation amoureuse qui se passe de nos jours se croise celui de l'enfance d'Homer en Suisse dans les années 80. Patrick Lapeyre met ainsi en perspective deux époques, deux périodes de la vie du héros, deux femmes aussi : Sybill abandonnée face à Ana, la mère volage et volubile d'Homer. Aux failles apparentes s'ajoutent en surimpression les blessures plus secrètes liées à l'enfance. La confrontation de ces deux histoires donne  ainsi encore plus de profondeur à ce personnage comme à ce roman, totalement éblouissant.

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