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un grand coup de coeur pour le Goncourt des lycéens

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Une actualité de Emilie D.
Publié le 16/03/2016

Philippe ClaudelEvidemment, Philippe Claudel n'est pas un auteur qui a besoin d'être défendu : depuis son succès avec Les Ames grises et La Petite fille de Monsieur Lihn, l'écrivain s'est forgé une solide réputation auprès des lecteurs de tous âges. Et pourtant, après la lecture du Rapport de Brodeck, il nous paraît impensable de ne pas vous faire partager l'émotion et le plaisir que nous avons ressentis.

L'histoire se passe au lendemain de la deuxième guerre mondiale au coeur d'un tout petit village situé en Lorraine ou en Alsace. Un de ces villages que le conflit tout proche n'a pas épargné et où les habitants sont parvenus tant bien que mal à instaurer un semblant de tranquillité. Tout bascule à l'arrivée d'un personnage étonnant, un vagabond qui se voit vite affublé du surnom d'Anderer pour ses appétences à la philosophie, à la méditation et à la magie. Son intégration aboutit très vite à un échec : l'Anderer devient le bouc émissaire du village et connaît une fin tragique.

C'est alors à Brodeck que les habitants décident de confier la lourde tâche de "rapporter" par écrit l'événement. Et quoi de plus difficile pour Brodeck, jeune homme rescapé des camps, abîmé par la vie et en quête d'humanité, de cautionner les actes terribles de ses compatriotes ? Brodeck prend la tâche à contrepied et décide plutôt d'entamer le récit de sa vie parmi les siens. Il nous livre ainsi un témoignage vibrant sur la difficile condition humaine...

Roman terrible sur les vicissitudes des hommes, Le Rapport de Brodeck n'en demeure pas moins un texte lumineux sur l'espoir, le désir de vivre malgré tout. Il y a du Giono chez Claudel, notamment dans ses évocations de la nature et des animaux. Le personnage de l' Anderer n'est pas non plus sans rappeler le sage Bobi évoqué dans Que ma joie demeure.

A la lecture de ce texte, on pense aussi évidemment aux témoignages sur l'holocauste de Primo Lévi ou de Imre Kertesz. Mais Claudel, qui n'a pas connu la guerre, a pris le parti de ne jamais nommer les acteurs du conflit. Il y a simplement des soldats qui envahissent le village et qui procèdent à une "purification" pour éliminer "ceux qui ne sont pas des nôtres". L'auteur use de métaphores par pudeur, par retenue sans-doute, et peut-être aussi pour donner au texte une dimension universelle et le rapprocher du domaine du conte ou de la fable.

Claudel emploie métaphores et périphrases,  et accorde dans ce roman une importance toute particulière aux mots et à leurs significations. A plusieurs reprises, il  choisit d'employer des termes dans la langue originale des habitants, "qui est une langue sans en être une, mais qui épouse si parfaitement les peaux , les souffles et les âmes de ceux qui habitent ici." A chacune de ces citations, il souligne l'aspect polysémique de la langue: c'est le cas pour "Ereignies" - qui signifie l'événement, le drame, ce qui s'est passé-  employé pour parler du meurtre de l'Anderer; c'est le cas aussi pour "Fremder" - le sale étranger, mais aussi le traitre, l'ordure - terme utilisé par les nazis pour désigner les juifs. Cette réflexion sur le langage est aussi une manière pour l'auteur de souligner l'incompréhension des hommes, parfois.

Le Rapport de Brodeck est bel et bien un roman qui se place sous le signe de l'altérité, du différent. D'une densité et d'une profondeur tant sur le fond que sur la forme,  c'est un texte grave, puissant et inoubliable que signe ici Philippe Claudel.

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