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Un héron et des bombes

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Une actualité de Véronique D.
Publié le 29/03/2016

003249712Avril 1937. Les bombes qui explosent sur le marché de Guernica donnent au déjà célèbre Pablo Picasso le funeste sujet de sa toile la plus emblématique. Sous le soleil ardent de juillet, quelques mois plus tard, le pavillon espagnol soumet au regard des visiteurs médusés la vision de cauchemar de l’artiste. Antoine Choplin glisse parmi les badauds Basilio, le personnage central du Héron de Guernica, jeune peintre amateur fasciné jusqu’à l’obsession par ces grands oiseaux des marais, immobiles et palpitant de vie. Comment peindre sans le figer comme un épouvantail cet animal dont le regard semble « une inquisition pure », « un miroir aux énigmes du monde », « puits (…) noirs et irrésistibles ».

Ses cartons à dessins au bout du bras, le jeune homme attend de voir l’œuvre de son compatriote et pourquoi pas, de croiser le maître. Dans un flash-back qui est le cœur inspiré du roman, Antoine Choplin prend le temps de promener son lecteur de personnage en personnage dans les différents lieux de vie : le marché de Guernica, les petites boutiques, une scène de bal où Basilio promet de peindre un héron pour Celestina dont il est amoureux. La vie de gens simples au cœur d’un petit village tranquille. La guerre n’est pas loin, elle s’invite jusqu’au cœur des marais où Basilio est à l’affût de son héron et où seule l’obsède la question de son art, en toute humilité.

Est-ce un bruit, une trouée dans le ciel, le moteur d’un avion à basse altitude qui soudain l'alerte? Basilio rejoint Guernica tout proche et assiste à l’horreur, l’impensable : taurillons en feu courant en tout sens, rideau sombre de fumées gommées par le vent, appels des blessés, "corps envolés en gerbe". Quelle est la place de l’artiste face à une violence indicible ? Comment témoigner, rendre compte de ce réel qui vous échappe ? Faut-il agir ? Mais comment agir alors que l’on comprend à peine ce qui est à l’œuvre ? Plutôt se rattacher à des choses de rien, l’espoir d’arriver un jour à capturer la vie sur la toile, à garder la mémoire d’un amour disparu, croire que jouer de la guitare peut aider à mourir ou à vivre…

Même la photographie semble ne pas pouvoir rendre compte du réel : dans le viseur de l’appareil que le curé de Guernica lui met dans les mains, le cadre s’avère trop étroit pour témoigner de tout, un contour absurde qui limite le monde réel. Là encore, il est question de « tout ce vivant invisible qui ne rentre dans aucun cadre pour la bonne raison qu’il est lui- même le cadre de tout ».

Après La nuit tombée, Antoine Choplin confirme son talent pour l’épure et pour l’ellipse et s’empare là encore d’un pan de l’Histoire récente sans que son roman ne verse dans de faciles effets dramatiques. Pourtant, tout est là, les personnages palpitent comme des personnages de chair, caractères bien dessinés par la main légère de l’écrivain. Ne fuyez pas devant ce que vous craindriez d’une violence dérangeante : la douceur de l’écriture fait pendant à l’horreur des scènes et la tendresse qui en émane nous fait au contraire croire, encore, et malgré tout, à la beauté du monde. "Et ce monde qui continue à valser, et la lune imperturbable."

C'est drôle quand même. Moi je parle de gars qui se font tuer pendant que toi, tu t'emmerdes à peindre le plumage d'un héron. Je m'emmerde pas. Un temps. Quand même; il doit falloir une sacrée patience, dit le soldat. Faut surtout avoir très envie de regarder, dit Basilio. De bien regarder les choses. Le héron, ce qu'on peut en voir, et ce qu'on ne peut pas. Aussi, tout ce qui l'entoure. Tout ce qu'il y a dans l'air qu'on respire, le héron, toi et moi. C'est surtout cette envie-là qu'il faut.

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