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Un ton autobiographique

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Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013

A.GlucksteinAh le terrible ennui des autobiographies de gens célèbres ! Quand on parvient à oublier que pas une ligne ne provient de la plume des signataires de ces précieux livres, quand on réussit à se contenter du cahier photos inclus en page centrale, quand on s'assure d'un maximum de crédulité pour croire les énormités qui nous sont offertes, l'expérience peut être amusante. Mais de littérature, il n'est point question (encore que ! quand on relit le premier livre autobiographique de Simone Signoret, on a le sentiment qu'un auteur réel se cache sous ses lignes, mais la petite histoire secrète veut qu'en fait ce soit le grand Maurice Pons, nègre à ses heures, qui ait poli ce best-seller, à la fureur de la grande Simone qui aurait tant voulu que nul ne l'apprit...). Ah l'inextinguible débat de l'auto-fiction qui vient régulièrement s'inviter dans les pages critiques des journaux ou les émissions radiophoniques opposant tenants du réel aux laudateurs de l'invention ! Au gré des palinodies des uns et des autres, chacun y va de son argument pour défendre le jeu fictionnel ou magnifier les beautés d'un moi assumé, et comme l'antique querelle des Anciens et des Modernes, on n'en voit jamais la fin. Seuls survivent les vrais écrivains qui se racontent toujours avec ou sans masque.

Justement un vrai écrivain (tant pis pour la répétition du hiatus malheureux) mériterait que l'on fasse un peu plus attention à lui. Alain Gluckstein (autant citer tout de go son nom, le suspens a assez duré) suit depuis quinze ans une voie littéraire parsemée de quelques éclats qui lui valent des fidèles (dont bien entendu votre serviteur) chroniquement inquiets de ses silences car l'homme ne se fait pas pressant sur les étals de libraires et prend son temps. Cinq livres en quinze ans, dont les trois premiers au Seuil, et les preuves d'une drôlerie rarissime chez nos jeunes français, un humour juif maîtrisé qui ne tombe jamais dans la blague sauf quand il s'agit d'analyser ce tropisme, une vision de soi-même ironique et exténuée, un style surtout qui tournoie et vous laisse sans voix, bref un écrivain capable de vous couper le sifflet par ses talents. Il est vrai qu'un tel patronyme n'aide pas car allez savoir comment il se prononce vraiment. La réponse pourrait nous être fournie dans son dernier livre qui s'annonce sans ambage comme SON autobiographie, celle qu'il s'adresse à lui-même, dont il nous fait le témoin et qui commence justement par cette interrogation phonétique de la prononciation et s'achève par un index nominum délirant, véritable chapitre pirate d'un livre dont on sort hilare et épuisé. Ton autobiographie, deuxième livre à l'enseigne de Folies d'encre, excellente librairie qui se double désormais d'une exigeante maison d'édition, mériterait de ne pas se vendre comme des petits pains seulement à Montreuil où Alain Gluckstein, héraut du quartier de La Noue (objet de son pétillant livre précédent, Dernier novembre à La Noue), réside, loin des agitations de la vie littéraire parisienne. Car sous couvert de se livrer, de se moquer de lui-même, de nous infliger d'édifiantes et hilarantes conférences sur la chanson yiddish (et vous saurez tout sur le tube Bay mir bistou sheyn des Andrews sisters) ou les gâteaux au fromage sans fromage, il s'interroge sur l'impossible distance entre un être et celui chargé de la raconter, fussent-ils tous deux la même personne, il met en scène avec volubilité la nécessaire émergence du silence, seul capable de nous laisser approcher le mystère de chaque individu. C'est bien là le tour de force de Gluckstein, nous apprivoiser avec ses histoires, ses tourments dérisoires d'une confession impossible et nous laisser inquiets, sur le seuil, débordants de questions auxquelles il ne répondra pas. Quand je vous disais qu'il s'agissait d'un véritable écrivain, et qu'il serait temps que cela se sache…

Andrews sisters

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