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Voleurs de Quichotte

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Une actualité de David V.
Publié le 09/05/2013

Voleurs d’encre  RivagesVous n'avez pas lu Don Quichotte mais vous promettez depuis vingt ou trente ans de vous y mettre à la première occasion : mononucléose vous clouant au lit, jambe cassée, vacances pluvieuses en montagne, etc…, une longue pause et vous vous lancerez. Ou vous avez lu Le Quichotte et en gardez un souvenir ému, surtout si vous l'avez découvert dans la traduction d'Aline Schulman. Bref, quand on vous parle de Cervantes, vous avez le sentiment qu'il s'agit d'un sujet crucial et taraudant, et vous n'imagineriez pas que vos lectures de l'été rencontreront son fantôme. Et pourtant, sachez-le, si vous êtes amateur d'exigeante littérature en même temps que désireux de vous divertir un bon livre en mains, vous ne devriez pas échapper au conseil du libraire fort réjoui de tenir son "roman de l'été" ou l'un d'entre eux tout au moins.

Rivages/Thriller, la mythique collection animée par François Guérif, accueille en son sein le second roman (et premier traduit en français) d'Alfonso Mateo-Sagasta, et on peut à peine parler à son sujet de policier, encore moins de thriller. Mais le genre est désormais assez extensible pour abriter des livres inclassables : Voleurs d'encre en fait assurément partie puisqu'il s'agit d'une enquête, d'un tonneau particulier, il n'y est en effet question ni de meurtre ni de crime. Nous voici en plein Siècle d'Or espagnol, époque bénie où l'on compta en une génération plus de grands écrivains qu'en plusieurs siècles mais aussi époque troublée car on n'y parle que de guerre, de querelles intestines, de luttes de pouvoir, de corruption. La Littérature tient une très grand place au milieu de ce tumulte, les Grands d'Espagne rivalisant pour s'adjoindre les talents de ces domestiques talentueux ou géniaux que sont les écrivains qui n'hésitent d'ailleurs pas à truffer romans, odes ou pièces de fiel et de règlements de compte. Cervantes, on y revient donc, a déjà publié la première partie de son Quichotte il y a plus de dix ans quand commence notre intrigue. Son éditeur, qui est aussi à la tête d'un tripot, se désespère de jamais sortir la suite de ce "best-seller", et il en vient à enrager quand il découvre qu'un dénommé Avellaneda s'est autorisé à le précéder, ruinant ses espoirs lucratifs. Il engage son correcteur Isidoro Montemayor, petite plume qui rêve de lettres de noblesse et arrondit son salaire dans les sous-sols où l'on joue aux cartes, pour mener l'enquête et mettre un visage sur ce nom inconnu. Car cette suite ne se contente pas d'exploiter un succès, elle est une véritable bombe dont les éclats, les sous-entendus, les ragots et les annonces peuvent avoir des conséquences désastreuses. Commence alors un étrange voyage dans ce Madrid sordide et étouffant, empli d'écrivains assoiffés et médisants qui en savent tous un peu plus qu'ils ne l'avouent sur ce mystérieux pasticheur, un voyage dans les oeuvres des grands noms qui recèlent des portes dérobées, des tiroirs cachés ou des secrets terribles. Don Isidoro va de surprises en découvertes, s'imaginant d'abord une vengeance de Lope de Vega, le coup monté d'ennemis acharnés de ce Cervantes qui a beaucoup à cacher. Mais plus il creuse, plus il interroge, plus se multiplient les galeries et les chausse-trape, d'autant que s'il lui faut se garder à sa gauche des coups des uns, il doit se protéger à sa droite de ses propres tentations. Tourbillon de théories sur des complots, surenchère d'analyses sur des textes depuis lors idéalisés, récit aventureux et épopée intellectuelle qui nous fait feuilleter les livres de noms prestigieux que nous n'avons jamais ouverts, Voleurs d'encre se pare ainsi des atours du roman à costumes pour mieux nous surprendre et nous faire sentir à quel point cette grande Littérature, vénérée aujourd'hui et trop désincarnée, s'inscrit en fait tout entière dans son siècle de fureur et combien les écrivains, vaniteux, hableurs, déchus ou envieux prennent un autre relief quand on les revêt des habits imprégnés de leurs humeurs d'antan. Accochés aux basques pas très propres de Montemayor, nous accomplissons un périple comme le roman moderne en offre peu. Quant à vous dire le fin mot de l'histoire, ne comptez pas sur nous...

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