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Voyage al dente

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Une actualité de Sébastien
Publié le 24/08/2013

A l'origine de tout voyage, outre le fait de voir de nouveaux paysages et de nouveaux visages, il y a cette volonté de se défaire de ce corps et de cette conscience qui nous renvoient à nos propres limites, à nos faiblesses passées et présentes... Se libérer de soi, voilà la vraie raison du voyage. Car, en effet, voyager est une démission de soi - accepter de ne plus être membre d'une communauté familière où l'on est reconnu parfois, où l'on a sa place même modeste, abandonner ses préjugés, ses habitudes, cette gangue quotidienne dont nous sommes pétris et à laquelle nous adhérons de manière inexorable... Henri Calet sait tout cela à la veille de quitter Paris ayant reçu d'un ami une invitation qui, du fait de son caractère officiel, relève de l'imposture : assister en tant que journaliste spécialisé à un congrès international sur le gaz à Padoue, Italie... L'écrivain, reconnu par ses pairs, ayant une poignée de romans à son actif, témoin subjectif de son temps dans les pages des meilleurs journaux de l'après-guerre, cache moult secrets sur son parcours personnel que les héros lunaires et velléitaires de ses romans contredisent littéralement. medium_calet_feu.jpgOr Calet reconnaît n'avoir jusqu'à ce jour versé que dans la "littérature arrondissementière"... Cependant, notre homme - qui là aussi nous ment effrontément car la fuite et l'imposture sont des habitudes familiales que même un casier judiciaire ne saurait cacher - a connu d'autres horizons forcés que les toits parisiens et les terrains vagues des fortifs où peut-être subsistent encore en ce début des années 50 de ces mauvais garçons... dont il fut. Calet va partir, prendre le train, traverser rapidement la Suisse - expérience qui fit l'objet d'un autre récit quelques années auparavant - pour échouer en gare padouane où l'attend son ami... Ce qui va suivre est un récit saugrenu, mieux ! une sorte de petit guide (L'Italie à la paresseuse) à l'usage de voyageurs peu orthodoxes qui souhaiteraient, comme notre mélancolique imposteur, visiter enfin ce pays idéalisé, berceau de la culture européenne... Car, outre des scènes cocasses et un voyage - contrairement à son titre - mené tambour battant (une vitesse digne d'un montage fellinien qui allient l'omniprésence pétaradante et redoutée  des vespas à un enchevêtrement de situations et de réflexions singulières... dans lesquelles surnagent les deux amis), ce qui frappe ici c'est paradoxalement - l'ami étant une sorte de double promenant notre homme selon son bon vouloir, décidant du parcours à suivre, abusant de sa passivité - la mélancolie qui sous-tend l'observation... Il ne s'agit pas d'un relent de nostalgie qui prend notre voyageur à la gorge à la pensée du pays natal (nous sommes loin des plaintes de Du Bellay pleurant une gloire antique à jamais anéantie...) mais d'une angoisse latente de ne pas savoir sentir et ressentir ce qui se révèle à ses yeux, d'être plus spectateur qu'acteur de sa propre existence; car, au fil du récit, le voyage agit tel un révélateur. Calet finit par prendre conscience de ce qui se joue dans cette errance méridionale : l'homme, libéré de tous les liens qui l'unissent à son pays, à tout ce qui sont ses repères, et le renvoie immanquablement à ce qu'il est réellement pour lui et pour les autres - un étranger. Et, pour cet homme des quartiers populaires,  conscient de la charge culturelle qu'elle recèle, l'Italie se doit d'être le lieu de tous les fantasmes. L'homme échoue à conquérir cette terre qui toujours se dérobe ( et comment posséder cette terre-femme sinon de nuit - où se déroule la majeure partie des péripéties de ce voyage et, où, de fait, les yeux ne saisissent rien des monuments qui restent invisibles, à l'abri des ténèbres) et qu'il ne peut posséder seulement "à la paresseuse", en dilettante, l'âme buissonnière... Ce corps-à-corps ne devait ainsi jamais être consommé, cette union devait rester à jamais insatisfaite tant l'amant manque de fougue ou d'intérêt pour la chose... Et, lorsque vient l'heure du retour, après avoir arpenté Venise ou Rome loin des sentiers battus, loin des parcours trop balisés des flux touristiques, notre homme s'interroge sur la portée d'un tel séjour : ce périple me ressemble, j'ai plus maraudé que voyagé, arpentant de nuit les rues des grandes cités italiennes, fréquentant les mauvais lieux, changeant de direction comme de moyen de transport à n'importe quelle heure de la journée, suivant ce compagnon qui décida à ma place de mon itinéraire et me laisse au moment du départ non pas amer mais désorienté après tout ce chemin parcouru et incapable de me décider de la direction à prendre dans ce grand carrefour où s'achoppent nos existences individuelles... Calet aura néanmoins promené un regard neuf sur ce pays qu'il aura libéré de sa "patine artistique et romanesque", effectué à rebours ce voyage en Italie avec une nonchalance plus ou moins feinte - les chapitres sont autant d'instantanés de la vie fourmillante qui l'entoure comme des pensées qui l'inspirent. Et on reste ébloui devant tant de fantaisie et de tendre ironie qui baignent au final ce récit singulier. Calet conclut ainsi cet intermède touristique qui l'est si peu ou si mal en reconnaissant que "l'on n'est jamais seul", que l'on ne peut se libérer de ce "fichu compagnon de route" qui "ramène tout à lui", de cette conscience toujours en éveil, qui cherche un sens à donner à chacun de nos actes, que ce soit l'écriture d'un roman ou un extra-vagant séjour en Italie.

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