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Blonde de Joyce Carol Oates

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Une actualité de Adeline
Publié le 26/05/2015
Dans ce roman librement inspiré de la vie de Norma Jeane Baker, plus connue sous le nom et le visage de la célèbre Marilyn Monroe, Joyce Carol Oates nous emporte dans la vie intérieure tumultueuse d’une orpheline destinée à lutter contre son reflet. Le lecteur est ainsi invité à suivre, telle une ombre muette et impuissante – l’ombre de Norma Jeane elle-même ? – l’apogée fragile et plastique de « Marilyn ». Cette schizophrénie consciente, qui fait écho dans l’oeuvre et dans la vie de Norma Jeane à la schizophrénie de sa propre mère, Gladys, imprègne l’écriture elle-même d’un équilibre sentimental incertain. L’écriture est ainsi tantôt saccadée, tantôt fluide ou tout à fait dénuée de ponctuation, faisant osciller notre respiration entre la facilité et l’essoufflement, et la scène entre l’extase et l’horreur. Mais l’horreur dans ce roman c’est aussi la tragédie que distille l’auteur au fil des pages, celle d’une intelligence censurée sur l’autel de l’image. Piégée dès l’enfance au coeur d’une société machiste qui aura raison d’elle, Norma Jeane n’a pour seule arme que son physique, un corps que s’arrachent les hommes et le cinéma sans plus de considération pour l’être qui le porte. Bien sûr l’amour n’est pas totalement exclu d’une vie outrancièrement sensuelle, mais il n’est, en dehors de ses rêves d’enfant, jamais absolu. Joyce Carol Oates nous livre, entremêlés dans le roman, le regard des autres et le regard de Norma Jeane elle-même sur ce corps qui fait l’objet de tant de désirs, sur cette Amie magique qui sauve la jeune femme, mais s’approprie aussi sa vie. Le rapport ambigu aux hommes, pères perdus et retrouvés ou prédateurs inassouvis, est mis en scène par un aller-retour entre la perception qu’ils ont du sex symbol indomptable qu’est Marilyn, et celle qu’a l’héroïne de ces hommes. Sauveurs, pères, violeurs, pervers, l’auteur jette sur ces personnages un voile d’oubli – déni – ou d’aveuglement – espoir – qui caractérise la quête d’amour effrénée de la jeune femme. La lucidité et l’intelligence ne font pourtant pas défaut à Norma Jeane, une lucidité perçante qui est, par sensibilité, rebutée jusqu’à la mort par un monde qu’elle découvre sous son vrai jour : égoïste, blessé, avare, méchant, et, vous l’aurez compris, non sans résonnance avec notre époque. Joyce Carol Oates signe ici le roman d’une vie vouée à la recherche d’une raison de vivre, qui épuisera finalement toutes les ressources de la jeune femme. De Marilyn nous connaissions la légende, Blonde nous en dévoile le poids. Cécile PILIERE