Chargement...
Chargement...


Celle que vous croyez, de Camille Laurens

no_media
Une actualité de Adeline
Publié le 20/04/2016
Un abyme vertigineux Le roman commence par un gros coup de gueule. Pour la narratrice, être une femme, c’est presque une malédiction. Elle pleure, elle ne dort pas la nuit à l’idée du traitement que subissent des femmes partout à travers le monde, premières victimes de la violence et de la cruauté masculine. Facile à dire quand vous êtes une bourgeoise occidentale ? Mais non, chez elle, c’est viscéral. Ce que j’ai tout de suite aimé dans ce livre, c’est qu’on ressent un engagement fort, presque violent, à la fois dans les mots et dans le style, mais sans tomber dans la caricature. L’écriture est saccadée, on a du mal à reprendre son souffle. Claire ne se sent vivre qu’à travers le regard des hommes, et sa malédiction, c’est le temps. Elle approche dangereusement les cinquante ans et sent que le couperet va bientôt tomber ; « Quel superpouvoir acquièrent les femmes à 50ans ? – Elles deviennent invisibles ». Mais elle est encore belle, désirable, et terrifiée à l’idée de voir les yeux masculins se détacher d’elle : « N’exister que dans leur regard et mourir quand ils ferment les yeux. » Dans la première partie Claire raconte à son psy en HP comment elle est arrivée là. Elle a refusé de renoncer au désir. Son désir, ou le désir dans le regard des hommes ? Ils se confondent. Elle a voulu rester dans le jeu, elle s’est fait prendre au piège. Piège des relations amoureuses 2.0, mais pas seulement. Un gougnafier l’a délaissée, elle a voulu le traquer sur la toile en se faisant passer pour une Claire de 24 ans. Chris s’est retrouvé au milieu de cette histoire, entamant une relation Facebook avec cette jeune et jolie brunette. Une histoire qui rappellerait presque celles de certaines héroïnes tragiques ; on n’échappe pas à la fatalité, de l’âge, de la violence masculine. Puis l’on prend de la hauteur et c’est une autre voix que l’on entend. Marc, le psy, nous éclaire sur la « véritable » histoire de Claire. Nous serions-nous faits menés en bateau jusque-là ? Un vertige délicieux m’a pris lorsque j’ai entamé cette partie et que le suspense s’est installé. Claire semble avoir été dépossédée de tout, sa vie, son esprit, sa sexualité, y compris son histoire. Elle aura une chance de la réécrire à travers la suite du roman. Un troisième personnage apparaît et c’est Camille, la romancière. Elle aussi a trébuché sur un Chris, un sale type, un ado attardé, qui n’a pas supporté d’avoir goûté à ce morceau périmé. Camille était pourtant encore une belle pièce de viande. Les histoires se mélangent et les mises en abyme brouillent les pistes. On se perd entre la véritable histoire de Claire, celle qu’elle s’écrit, et celle que Camille nous raconte. Entre réalité, fiction et fantasme. La lecture devient urgente pour nous, tout comme l’écriture pour Camille (la narratrice ou l’auteure ?) qui entame une réflexion sur le désir et le besoin d’écrire, qui se mêle au désir de chair. J’ai adoré la progression et la tension qui s’installent tout au long du livre, ce jeu pervers et ce ton ironique qui le rendent à la fois excitant et bouleversant. J’ai trouvé les propos très justes et percutants, les exemples bien choisis, et la forme délicieuse. C’est devenu un de mes livres préférés et je vais courir le faire dédicacer à l’Escale du livre ce week-end ! Maylis Neveux