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La promesse de l’aube de Romain Gary

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Une actualité de Adeline
Publié le 26/05/2015
« Avec l'amour maternel, la vie vous fait, à l'aube, une promesse qu'elle ne tient jamais. Chaque fois qu'une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère comme un chien abandonné. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d'amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n'y a plus de puits, il n'y a que des mirages. » Romain Gary expose clairement avec ce paragraphe ce qui sera le leitmotiv de son roman : la relation avec sa mère. Sans cacher son complexe œdipien, et en l’exposant au contraire au grand jour, l’auteur explique qui il est au regard de son passé et de la relation maternelle. Il apparaît d’ailleurs à travers ce passage du livre que la relation va au-delà du schéma d’Œdipe : si le fils se retrouve toujours à idéaliser la relation avec sa mère, cette dernière ne laisse pas de place à un homme non plus. La relation est exclusive des deux côtés, et cette réciprocité exacerbe l’amour fusionnel qui transparaît tout au long du roman. Il est frappant de voir les nombreuses épreuves de la vie que va traverser ce couple incestueux mais pourtant platonique : la pauvreté, l’exil, la maladie, la guerre… et pourtant tout cela paraît minime au regard de la passion qu’ils entretiennent l’un pour l’autre ! L’exclusivité qu’ils s’accordent leur permet de survivre à tout et surtout au pire. On dirait d’ailleurs que l’amour qu’ils se portent est comme un bruit de fond, que toutes les péripéties apparaissent comme passagères au regard de ce fil rouge amoureux. L’amour de la mère à son fils, exprimé au travers des espoirs astronomiques qu’elle nourrit pour lui, encourage la passion de l’auteur pour sa génitrice (qui est par ailleurs bien plus que cela). Réciproquement, l’assiduité exemplaire du fils à satisfaire les moindres désirs de sa mère encourage cette dernière, formant ainsi un cercle vicieux. Malgré la première impression, qui présente un auteur égocentrique contant ses mémoires, on comprend rapidement qu’il s’agit en réalité d’une apologie mêlée d’une critique du lien maternel exclusif. L’histoire est comme écrite, elle éveille en nous une part de vécu, quelle que soit notre situation familiale et la similitude avec le vécu de l’auteur. On devine la fin, sans le vouloir mais en le sachant : la mort inévitable de la mère, seule fin possible de la relation. C’est aussi un livre qui nous parle au sens propre. Les frissons nous viennent à l’entendre lu dans le film de Jean Becker, « La Tête en Friche ». C’est un livre qu’on aime autant pour ses mots que pour ce qu’il raconte. A la limite entre la poésie et le théâtre, l’auteur rejoue sa vie devant nous, pour lui. Finalement, c’est peut-être un peu égocentrique de sa part, mais le plaisir est totalement partagé ! Adèle CHARBONNIER