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La rêveuse d’Ostende d’Eric-Emmanuel Schmitt, par Marine Visellach

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Une actualité de Adeline
Publié le 21/05/2013
La rêveuse d’Ostende a beau être une nouvelle, l’histoire n’en est pas moins riche. L’auteur nous entraîne au cœur d’une rencontre dont on ne ressort pas indemne. Emma Van A., vieille femme infirme et solitaire, n’a rien vécu. C’est du moins, ce dont est persuadée sa nièce. Sa vie n’aurait été qu’un vide immense : elle n’aurait eu aucune histoire d’amour ni aucune occupation, si ce n’est sa passion dévorante pour les livres anciens. Mais Emma Van A. a un secret : le narrateur, écrivain en vacances à Ostende, en est persuadé. Il y a chez sa logeuse une part de mystère qui l’intrigue... Et quand Emma Van A. décide finalement de lui confier son histoire, il sait qu’il ne s’est pas trompé. L’histoire qu’elle lui raconte, c’est une de ces histoires d’amour comme on n’en voit plus. Une de ces histoires qui nous bouleverse par sa beauté et sa spontanéité. On est fasciné par son récit, les détails qu’elle nous livre, l’émotion qui la prend. Pourtant, comme le narrateur, les doutes finissent par prendre le dessus. Il faut se rendre à l’évidence, cette histoire est « trop belle pour être vraie »… Comment une roturière, infirme qui plus est, aurait-elle pu vivre pareille romance avec un prince ? On a envie d’y croire, on aimerait vraiment, car Emma Van A. est un personnage attachant. Mais notre esprit cartésien nous rattrape : la pauvre femme est âgée et vit dans ses livres depuis toujours. Elle croit à son histoire c’est certain, mais cela ne suffit pas à la rendre vraie. Notre regard sur elle se modifie alors : l’image de la femme amoureuse, forte et déterminée, qui a sacrifié sa vie à son amour, cède la place à celle d’une femme extrêmement seule, bercée par une douce folie. On compatit à son sort, on se désole de la vie qu’elle a eue. Pourtant, à sa mort, toutes nos certitudes vont s’effondrer ; nous voulions une preuve tangible qu’Emma n’avait pas menti, nous l’avons. C’est là tout le talent d’Eric-Emmanuel Schmidt : il nous déstabilise. Il remet en cause nos acquis, pointe du doigt nos préjugés et notre tendance à nous laisser manipuler par des mots, des images. Nous ne nous sommes pas fait notre propre opinion sur l’histoire d’Emma. Nous aurions pu choisir de la croire, mais nous ne l’avons pas fait. Nous nous sommes contentés d’adopter les pensées du narrateur car ses conclusions étaient « logiques », tout comme lui s’était contenté d’être « réaliste ». Cette nouvelle est désarmante car elle soulève en nous des interrogations multiples: Pourquoi jugeons-nous faux ce qui sort de l’ordinaire ? Avons-nous à ce point perdu tout sens du merveilleux qu’on ne croit plus aux belles histoires ? Et le flot de questions pourrait s’étendre encore. C’est ce qui rend cette nouvelle si exceptionnelle. Elle ne raconte pas seulement une belle histoire, elle nous la fait vivre. Car après tout, le confident d’Emma, ce pourrait bien être n’importe lequel d’entre nous.