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Les lycéens écrivent aussi (5e édition - billet n°28)

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Une actualité de Marilyn
Publié le 02/04/2014

Billet portant sur Le ventre de l’Atlantique de Fatou Diome 

logocondorcet21432C’est un livre de passion, d’illusions et de désillusions. J’ai beaucoup apprécié le point de vue éclairé et réaliste de la narratrice, la vision objective et sincère qui nous est proposée de l’image que les africains se font de l’Occident : une image féérique entretenue par les mensonges des émigrés de retour au pays qui entretiennent ce mythe du pays de cocagne où tout est possible, où la richesse attend quiconque en foule le sol. C’est bien cette fascination malsaine que vise à dénoncer la narratrice, Salie. Elle-même, expatriée venue vivre en France, elle connait le prix en souffrances de son choix même si, pour elle devenue écrivaine, le retour au pays n’est plus possible, victime qu’elle fut dans sa jeunesse des préjugés archaïques qui veulent, notamment, qu’une femme ne doive pas se cultiver. Elle ne supporte plus tous ces rituels nauséabonds qui entretiennent son pays et ses habitants dans une inertie coupable car s’opposant à toute prospérité et à toute évolution du statut de la femme, cette dernière n’est destinée qu’à devenir une bonne procréatrice au service de son mari avant que ce dernier ne la délaisse pour une autre, plus « fraîche »… Malgré la nostalgie dont elle souffre, malgré l’éloignement affectif de sa famille, elle sait que sa vie est désormais en France mais fera tout, néanmoins, pour dissuader son jeune frère de venir la rejoindre. Lui ne rêve que de football et se voit déjà intégrer une équipe prestigieuse où il fera carrière. Il prend le refus de sa sœur de l’accueillir pour un simple geste égoïste. Pourtant, elle ne l’abandonne pas, loin de là. Elle tente de lui faire comprendre que ce n’est qu’un miroir aux alouettes et que ce n’est pas la gloire qui l’attend mais la désillusion, voire l’exploitation, la misère et les ennuis. Elle s’efforcera de le convaincre que le bonheur ne se trouve pas nécessairement en Europe et combattra l’image fallacieuse qu’il se fait de la France. Au contraire, elle louera le savoir comme seul bagage indispensable pour réussir et essaiera de l’amener à trouver une situation confortable dans son village en n’hésitant pas à puiser dans ses propres économies… Beaucoup de personnages folkloriques parcourent ce beau récit qui parfois oscille entre récit réaliste, contes et légendes. Si il n’est pas toujours facile de s’y retrouver dans ce mélange d’anecdotes, c’est aussi l’occasion d’appréhender les coutumes et la vie du Sénégal « de l’intérieur ». Ce livre nous amène aussi à réfléchir aux notions conjointes du bonheur et du rêve. Le rêve des africains dans ce livre est surtout matérialiste, on le voit avec le personnage de l’homme de Barbès, immigré qui « a réussi ». Avant chacun de ses retours dans son pays, il achète une multitude de chemises de piètre qualité et des bijoux de faible valeur pour les donner à sa famille, il distribue aussi de l’argent autour de lui. Tout cela lui permet de jouir d’un prestige sans égal dans son village où il est admiré, voire vénéré pour sa réussite. Seul détenteur d’une télévision, il accueille tous les habitants de son village les soirs de matchs de foot et entretient par son attitude le mythe de l’Europe accueillante et richissime. Pour Salie le rêve est d’ordre émotionnel. Elle se sent désormais intégré dans son pays d’adoption où elle peut vivre affranchie de toute tutelle masculine comme bon lui semble et mener à bien sa carrière littéraire et pourtant, demeure au fond d’elle la nostalgie de son pays et des siens. Elle est donc comme déchirée et rêve d’une impossible conciliation entre ses aspirations opposées. C’est un très beau livre, dense et riche qui interroge sur la nécessité pour les pays africains de se détacher de leur passé colonial et de leur rêve d’exil européen pour se prendre en charge et construire leur avenir grâce à l’éducation et au renoncement de certaines croyances et traditions archaïques et néfastes.

Billet de Herman Rama, étudiant en B.T.S. Assurance

Bibliographie