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L’immoraliste d’André Gide

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Une actualité de Adeline
Publié le 26/05/2015
Je suis entré en résonnance avec cette histoire bien qu’elle puisse mettre mal à l’aise et je perçois l’aventure de Michel comme un écho déformé de ma vie. Le voyage initiatique qu’il accompli, fil rouge du livre, résonne avec le voyage que j’effectue moi-même au tour du monde au moment précis où je lis le roman. L’écriture au style quasi lyrique est extrêmement riche et pourtant d’une limpidité sans égale. Le récit tortueux comprend de nombreux degrés de lecture mais est dépourvu de jugement de valeur contrairement à ce que le titre laisse entendre. En fait, à lui seul, et c’est tout le génie de Gide, le titre est révélateur de l’esprit du livre : synthétique mais abscons. Alors qu’il peut paraître extrêmement sévère, il s’avère plus être un questionnement ouvert qu’une sentence irrévocable. C’est donc un roman ouvert, où il n’y a paradoxalement pas de morale si ce n’est l’avis final qui émanera du lecteur. Pour comprendre, le protagoniste, Michel, dédie sa jeunesse valétudinaire à l’étude de l’histoire antique dans une pièce borgne. Jeune, il se marie à Marceline, et voyage pour les noces mettant à l’épreuve sa vie. Néanmoins, installé au Maghreb sa santé s’améliore petit à petit et devient même plutôt vigoureuse. Ainsi il prend goût à la vie comme jamais auparavant. L’analogie est criante : le voyage soigne son corps mais aussi son esprit, Mens sana in corpore sano. Il est vivant ! Tous les thèmes du livre sont abordés sans garde-fous, de manière très directe, instinctive, empirique, mais aussi très philosophique via les chroniques du jeune Homme hésitant quant à ses choix de vie ; oscillant entre liberté et conformisme ; posant un questionnement permanent sur le sens de la vie ; reprochant l’aliénation de la société et tentant dans sa quête incessante de liberté de repousser une à une les limites morales que la société a mises en place. Il s’adonne à toutes les débauches : le vol, le braconnage, l’abandon de sa femme, même le flirt avec la pédophilie, etc. Et bien qu’épris de remords, devient au fil des lignes de plus en plus bestial. Quand surgit l’immoraliste ? Cela sonne en tout cas pour moi comme une véritable ode à la vie, à la liberté et à l’accomplissement total de soi. Panégyrique sans concessions. Pied de nez aux conventions. Finalement, la question qui reste en suspens est de savoir si le héros a réussi à transcender son existence ou si il est retombé dans un infantilisme déresponsabilisant. A-t-il su vivre pleinement sa vie ou au contraire lui a-t-elle complètement échappée ? Chacun est libre de se faire son opinion, rien n’est établi ni même suggéré. Ce livre rappelle les mots radicaux de Marcel Duchamps « J’ai compris à un certain moment qu’il ne fallait pas embarrasser la vie de trop de poids, de trop de choses à faire, de ce qu’on appelle une femme, des enfants, une maison de campagne, une automobile. Et je l’ai compris, heureusement, assez tôt. (…) Je me considère donc comme très heureux. Je n’ai jamais eu de grands malheurs, de tristesse, de neurasthénie. » Thomas CALLET