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L’insoutenable légèreté de l’être

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Publié le 13/05/2019
L’insoutenable légèreté de l’être de Milan Kundera
Milan ou souffrir d’aimer

« Qui perd son intimité a tout perdu pense Sabina. Aussi Sabina ne souffre-t-elle pas d’avoir à cacher son amour. Au contraire, c’est le seul moyen de vivre dans la vérité ». Pour la première fois, à dix-sept ans, j’ai lu ces quelques mots, imprimés sur les pages jaunies d’un Gallimard offert par mon grand-père.

Milan Kundera, sagesse et canaillerie mêlées, associe l’éternel retour à nos amours dérisoires sans que cela ne nous paraisse déplacé. Le concept nietzschéen, central dans « L’Insoutenable légèreté de l’Etre », se meut en « l’inexistence du retour », en cette idée que si les événements se répétaient, nous serions condamnés à une responsabilité insupportable.

Voulant fixer la spontanéité d’un moment qui ne se reproduira pas, comment échapper « en boucle » à la fatalité du « never more » ?

Nous lisons Kundera et nous voici jetés dans la réalité, face au vertige de nos élans. Nous ployons de douleur sous le poids de la légèreté, tiraillés, pauvres humains sensibles, entre grand Amour et besoin irrépressible de liberté. Tereza aime Tomas à s’en rendre malade, et dans une dévotion malheureuse au médecin charismatique, en oublie de penser à elle-même. Tomas aime Tereza, Tomas aime plus encore « l’amitié érotique », ses jeux coquins avec la belle Sabina, intellectuelle Pragoise. Sabina fuit son grand amour, Franz, avant d’être prise au piège.

De vérités littéraires en tourments philosophiques, les personnages sont balancés de l’amour éternel à de libertines tentations. Bien et mal s’entrelacent tels des amants malheureux. Bien et mal, notions chrétiennes, meurent dans la modernité du XXème siècle, dans une Tchécoslovaquie en proie aux événements.

Comme toujours chez Kundera, l’histoire des personnages fait écho à l’Histoire, et la jalousie de Tereza sentant sur la peau de son mari le parfum de ses maitresses, traduit la douleur d’un peuple mourant à sa liberté. Tout est symboles, ici, le chien s’appelle Karénine … Jamais un auteur n’a autant décrit les relations sentimentales, la confusion entre amitié et amour, le flou entre sexualité et sentiments.

 « La convention de l’amitié érotique impliquait que l’amour fût exclu de la vie de Tomas. […] Avec les autres femmes, il ne dormait jamais. […] Dans l’instant qui suivait l’amour, il éprouvait un insurmontable désir de rester seul ». Au réveil, Tereza lui tient la main, Tomas respire « le parfum d’un bonheur inconnu ». Hanté par une chimérique liberté, Tomas épouse Tereza juste pour conjurer son angoisse.

La condition humaine, que l’on pensait en proie aux déterminismes sociaux est ici sentimentale. Entre absurde et gravité, hommes et femmes dansent depuis des siècles « La Valse aux Adieux », se séparent, étreignent de nouveaux partenaires. Ce qui marque leurs vies, c’est la difficulté d’aimer. Peu d’auteurs ont osé mettre cette blessure au centre. Reflet d’un XXème siècle qui débuta dans la tragédie, le plus grand des romans d’amour se termine en pleurs.

Bibliographie