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Les Chants de Maldoror

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Publié le 13/05/2019
Les Chants de Maldoror du Comte de Lautréamont
« Plût au ciel que le lecteur, enhardi et devenu momentanément féroce comme ce qu’il lit, trouve, sans se désorienter, son chemin abrupt et sauvage, à travers les marécages désolés de ces pages sombres et pleines de poisons […] les émanations mortelles de ce livre imbiberont son âme comme l’eau le sucre ». Ces premiers mots des Chants de Maldoror d’Isidore Ducasse résonnent encore en moi, cette phrase ne m’a jamais quitté depuis et reste en moi encore intacte au même niveau que les monstres de ma jeunesse. Lire les Chants de Maldoror est le passage obligatoire de chaque lecteur curieux. Il est possible que le style et la forme puissent déranger certains, mais la littérature de Lautréamont vit de la pléthore des vocables, et ses mots sauront trouver en chacun ce cavalier noir qui nous habite et qui jouit de voir des fleurs bavarder sur la mort. Car oui, la mort sera omniprésente, nous la regarderons dans les yeux, grâce à Ducasse, nous respirerons la mort, nous vivrons la désolation des odeurs du Verbe.

Les Chants insensés qu’Isidore draine de la noirceur des âmes sont un dénominateur commun à toute une génération artistique. Dali et Magritte en ont esquissé quelques dessins, Modigliani en avait toujours un exemplaire sur lui, Alfred Jarry lui reconnaissait son humour dans l’horreur, Leon Bloy le décrit comme de la « lave liquide, insensée, noire et dévorante ». Le Romantisme atteint son paroxysme grâce à A. Breton et L. Aragon qui lisaient les sombres vers à la lumière d’une bougie dans l’ombre des tranchées en 1917. Les Chants de Maldoror aujourd’hui se démarquent toujours par leur jouissive noirceur jamais égalée, et Ducasse reste encore le génie-roi de cette sous-culture. Ce livre restera dans l’histoire et survivra à la fluctuation des modes au même titre que Nietzsche, Rimbaud ou Baudelaire, car ce qui fait durer une œuvre, c’est sa férocité, ce en quoi elle excelle. Il n’y a qu’à considérer le prestige de l’Evangile pour s’en rendre compte, ce livre agressif et venimeux.

Hier comme aujourd’hui, nombreux sont ceux qui cherchent en la littérature un Livre nouveau, une Bible unificatrice. Rendons justice au génie, Ducasse nous a écrit ce livre qui pourrait unir les humains. Il est une plongée dans la profondeur abyssale de l’être humain et sa cruauté, qui est bien plus proche qu’on ne le croit. Lire l’horreur des Chants de Maldoror est une introspection bénéfique, une souffrance obligatoire car rien ne dessèche tant un esprit que sa répugnance à concevoir des idées obscures. Si Nietzsche peut affirmer avec tant d’assurance que Dieu est mort, c’est parce qu’il a sans doute été témoin de l’horrible theïcide qu’est ce livre. Parce que c’est bien là l’objectif de Ducasse, punir notre bonheur en nous inoculant ses angoisses, plus contagieuses que ses douleurs. Ainsi, Maldoror, cette bête immonde, vient de sa plume détruire l’humanité et les cieux, car c’est un stoïcien du crime, un Marc Aurèle avec un poignard.

Bibliographie