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Les évaporés de Thomas B. Reverdy, par Cassandre Pigeaud en Terminale ES au lycée Haroun Tazieff

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Une actualité de Pierre
Publié le 18/05/2016
Chez nous, quand quelqu’un disparaît, on ne dit pas simplement qu’il s’est évaporé. On le recherche, la police, même s’il n’y a pas de crime, la famille, parce qu’elle tient à son parent. Au bout de vingt-quatre heures sans nouvelles, les autorités décrètent une situation inhabituelle. Si on est chanceux, la photo du disparu est affichée sur les écrans de télévision, aux infos du soir. Ça se passe comme ça en France. Mais pas pour Hana. Pour elle, personne n’a contacté la police. Parce qu’Hana n’avait personne, personne pour remarquer sa disparition. Elle vivait isolée, sa seule compagnie résidant dans l’unique roman qu’elle possédait. Hana était jeune pourtant, vingt-deux ans. Ou du moins, c’est ce qui était noté sur son acte de naissance, qu’elle avait d’ailleurs égaré. Il avait disparu, comme toutes les traces de son passage sur Terre. Hana n’était qu’une ombre de la société, un individu marginalisé qui n’intéressait personne. Après tout, elle n’était qu’une chômeuse sans grande qualité. Mais au moins, elle avait ce roman, posé bien en évidence sur son matelas miteux. Son style de vie était précaire. Parce qu’elle avait arrêté les études avant même d’obtenir ce fameux sésame qu’est le baccalauréat. Mais de toute façon, qu’est-ce que ce diplôme aurait changé dans la vie de la jeune femme ? Le chômage, en France, était une épée de Damoclès qui pendait au-dessus de la tête de tout le monde. Pour Hana, la lame s’était enfoncée depuis bien longtemps au plus profond de sa chair. Ce n’était pas douloureux, seulement pesant. Mais elle ne se plaignait pas. Au moins, elle avait un toit sur la tête. Son studio ressemblait plus à un placard à balais qu’à un endroit vivable, pourtant elle s’en contentait. Elle n’avait que ça, ses quelques vêtements, et son livre. « Les évaporés », c’était son titre. Si évocateur pour elle, il l’inspirait. Peut-être était-ce pour cela qu’elle avait pris la décision de disparaître. Ou peut-être pas. Personne ne le savait, personne ne la connaissait. Elle n’était qu’un fantôme, sans emploi, sans entourage, sans vraie identité. Mais s’il y avait bien une chose qui la caractérisait, c’était son amour pour la lecture. Elle y passait ses journées, elle n’était capable que de cela. Sans compagnie, elle ne pouvait plus que se consoler avec son roman. Mais il était si petit, si insignifiant. Un simple objet fait de pages fines et déchirables. Pourtant, il occupait une grande place dans sa vie, comme s’il n’était pas seulement un livre, mais aussi un être humain. Peut-être était-ce vrai. Elle avait l’impression que Kaze lui parlait. Qu’Akainu l’invitait à le rejoindre. Cette histoire provoquait en elle un profond désir d’évasion. Sa lecture lui apportait des questions auxquelles elle ne trouvait jamais les réponses. Elle lui donnait l’impression de pouvoir effleurer la liberté, mais du bout des doigts seulement. C’est pourquoi elle avait fini par envier Kaze. Par lui envier son courage. Car il avait réussi à partir, à disparaître. Elle aussi voulait s’en aller. C’était sa seule certitude, la France n’avait plus rien à lui offrir. Ni emploi, ni aide, ni famille, ni amis. Rien que la solitude. Et un studio miteux. Ce roman avait été pour elle un élément déclencheur. Un facteur de changement. Le déclic. Il lui avait donné des ailes et le courage suffisant pour qu’elle prenne une décision: celle de disparaître à son tour. Si Kaze l’avait fait alors qu’il avait une femme à ses côtés, pourquoi ne le pourrait-elle pas ? Il n’y aurait ni de Yukiko, ni de Richard pour la rechercher. Elle n’aurait pas non plus à échapper aux dangers auxquels Akainu avait pu faire face. C’était certes moins palpitant—personne n’avait envie d’écrire sur sa disparition— mais elle n’avait pas besoin de tout cela. Juste de partir. De prendre la fuite. De s’évaporer. Tout simplement.