Le roman initiatique c’est l’équivalent moderne du mythe antique, on suit la trace d’un personnage jeune sur plusieurs années et l’on assiste à sa découverte du monde, quelque part à sa désillusion. Il y a un aspect rituel dans le roman initiatique, quand on le lit jeune on ne comprend pas tout d’emblée, mais ce sont comme les paroles d’un père, on les garde avec soi et elles prennent du sens et de la profondeur avec le temps. Jack London est en ce sens un bon père, et Martin Eden, la parole qu’il nous transmet.
Publié pour la première fois en 1909 aux éditions MacMillan, Martin Eden est avant tout un roman très facile à lire. Sa structure basique : sujet verbe complément point, en fait une œuvre à la portée de tous. Martin Eden est un très jeune marin, à peine 20 ans au début du livre. C’est une brute au cœur pur, un être à l’âme cristalline. Un jour par hasard, il prend la défense d’un autre garçon, un « petit riche » qui pour le remercier l’invite à dîner chez sa famille. À cette occasion Martin Eden va découvrir un monde qui lui est totalement inconnu, celui de la bourgeoisie. Et surtout il va s’éprendre de Ruth, la sœur du jeune garçon qui l’a invité. Il comprend d’instinct que pour avoir une chance de la séduire il devra se hisser au cœur de cette bourgeoisie, lui qui incarne les bas-fonds du prolétariat américain du début du XXe siècle. Jamais une belle héritière ne tombera amoureuse d’un analphabète, qui ne s’est jamais brossé les dents de sa vie. Il va déployer des efforts surhumains afin de s’instruire et d’apprendre les codes du milieu. Mais au fur et à mesure qu’il s’y essaie il y découvre la superficialité, les esprits étriqués, l’hypocrisie, la petitesse, la bêtise, et les faux-semblants...
Martin Eden est un roman qui rayonne par la diversité des thèmes abordés. D’abord sans concession sur l’amour. Ruth va être impitoyable avec lui. Il finira par découvrir la vraie nature de la femme qu’il considérait comme un ange. Sa vision romantique et idéalisée de l’amour s’effondre petit à petit face à la dure réalité. L’œuvre traite aussi des injustices sociales, thème récurrent chez Jack London, auteur très politique qui n’hésite pas à dénoncer les castes, la vanité, et l’injustice. Le dur chemin vers le succès, et l’hypocrisie délétère entourant la réussite sont également constitutifs de l’œuvre. Ces thèmes sont dépeints par les dessous impitoyables du métier d’écrivain, renforçant d’autant plus le parallèle avec la vie de l’auteur.
L’apothéose étant la réflexion finale sur le sens de la vie. À quoi bon vivre lorsque l’on a tout connu, a à peine 20 ans. La perte d’êtres chers, les voyages, la pauvreté extrême et le succès, la faim et l’opulence, et enfin l’amour et ses désillusions... En somme, Martin Eden, n’est pas un livre très joyeux, mais c’est indéniablement un ouvrage majeur où le héros est une sorte de saint. Martin Eden est en cela un cadeau magnifique pour tout jeune se lançant dans la vie.