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Maxence Vicart

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Publié le 11/05/2017
Prix Cordées Clésup
Au commencement, il y eut un prologue qui, des plus récents événements de l'histoire, introduisait ce qui serait La vie de Bob, l'histoire du voyage d'un jeune homme au nom générique, initié à la suite d'une rupture, en quête de réponses. Un voyage littéraire qui parallèlement m'amènerait à comprendre les mécanismes de l'écriture de soi après avoir essuyé échec sur échec de chapitre en chapitre, repoussant chaque fois la limite entre la réalité et la nécessité de la fiction, pour arriver à une aporie : l'incapacité de raconter à cause la honte de ce qui pouvait être écrit. Le voyage du personnage fut, lui, inachevé pendant longtemps, attendant que l'auteur termine son propre voyage dans son œuvre et ses travers, pour qu'enfin leurs voyages à eux deux puisse se clore dans les dernières pages du livres.

    C'est bien plus tard que se termine le voyage initiatique de ce personnage, je suis indissociable de ce dernier, mais mon voyage à moi s'est achevé bien plus tard. J'écris ces lignes des mois après la fin précoce de ce projet, peut-être même une année après. C'est que le vrai voyage initiatique, le vrai façonnement de mon être, est postérieur à celui que je relate, celui ci n'a été qu'un prélude. J'ai beaucoup lu depuis, plus que les quelques auteurs cités çà et là dans un chapitre de mon histoire. Et c'est lire qui m'a permis de comprendre l'écriture pour finir par me comprendre moi.
    Un sujet nous a été proposé au début de cette année d'étude : « l'écriture de soi. » J'ai longtemps cherché quoi en dire, avant même d'avoir commencé à y réfléchir, jusqu'à lire Annie Ernaux. Alors, j'ai commencé ma lente réflexion, simplement parce que je venais de comprendre que je ne savais rien de ce qu'était « s'écrire soi », bouleversé par ce que je commençais à entrevoir à travers Une Femme puis La Honte, me rappelant d'autres lectures que j'avais pu faire, voyant comment on pouvait se manier soi dans le récit, en tant de formes qu'il y a d'écritures possibles :  l’œuvre de Mouawad comme une longue marche vers soi même de la simple évocation des mêmes thématiques jusqu'à l'évocation de soi ou la perpétuelle nécessité d'une écriture pourtant rejetée pendant si longtemps par Jorge Semprun. Et cela m'a soudainement rappelé que m'écrire moi, ce sujet qui me semblait bien inconnu, c'est pourtant ce que j'avais entrepris à ma petite échelle des mois, peut-être même un an, auparavant. Et alors j'ai cherché longtemps pourquoi cela n'avait pas marché, lors d'insomnies dont la longueur ainsi que la fréquence m'empêchaient d'être réellement reposé et serein.
    Dans toutes ces lectures menées au fil de l'année, j'ai trouvé des bribes de réponses qui, à terme, me semblent suffisantes :  j'ai vu que le mal-être pousse à l'écriture de sa peine, pour rétablir une sorte de balance cosmique parce que fondamentalement le mal-être n'est qu'un déséquilibre. Cette vision n'est toutefois pas universelle : elle n'est que le reflet de ma compréhension égoïste de ce que j'ai fait moi, à la lumière d'un petit nombre de lectures. Mais, chaque fois, j'ai retrouvé ce besoin de mettre en mots la tristesse,  la misère d'un monde qui appelle à la misère de soi, pour enfin la regarder d'un œil extérieur, enfin la donner en pâture à un public avide qui viendrait dévorer la peine, la réduisant à un néant pour que puisse poindre une nouvelle aurore. Un simple deuil littéraire.
    Quand je compris enfin cela, je me rappelais cette ébauche de roman, et je compris qu'il ne pouvait être fini que maintenant, car là est sa vraie fin. Le véritable voyage initiatique de ce Bob, ce nom informe et générique qui permet l'anonymat et qui jamais ne fut prononcé, rejoint enfin le mien et les deux peuvent enfin se clore de la même manière. Le sien commença alors qu'il remplissait une valise, le mien commença alors que je ne pouvais plus rien écrire sur lui, et le nôtre, enfin, commença le jour où je reçus cette lettre parlant du prologue de cette histoire :
Alors puisque aujourd’hui est le jour d’une mort symbolique, j’envoie quelque dernières volontés. Que cette fin soit le début de ton livre. Écris-le. Jusqu’à la dernière page. Publie-le. Dis moi que dans dix ans je l’achèterai.
    Je peux enfin clore cette histoire parce que maintenant je l'ai enfin comprise, dans sa globalité et dans sa simplicité. Parce que j'ai enfin pu faire face à cette peur sourde mais tonitruante qu'est « s'écrire soi » quand on en vient à juger de la propre valeur de son histoire. Parce que j'ai enfin trouvé, tout simplement, les mots et la forme que je n'avais pas auparavant pour finir cette histoire.
    C'est l'histoire d'un écrivain qui échoue, qui perd de vue ce pour quoi il écrit et qui accouche d'un monstre littéraire : monstre parce qu'informe, abject, s'égarant dans un rebut abyssal, mais littéraire parce que ne perdant jamais de vue l'écriture, même quand l'écriture se perd jusque dans ce même rebut. L'histoire d'un écrivain qui, un soir ou un matin, finit par comprendre comment  achever  son œuvre. En l'expliquant, tout simplement. En faisant l'étalage de son échec qui aboutit à sa réussite. En laissant tomber son personnage devenu le pâle calque de lui même pour enfin se retrouver dans la première personne, qui écrit sans interruptions tout ce qu'il avait sur le cœur sans savoir qu'il l'avait, buvant café sur café pour que ne s'interrompe pas le tapotement sourd des touches de clavier.
    Mais surtout, tout ceci n'est rien d'autre que l'histoire d'une rupture de jeunesse qui a bouleversé ma vie, que j'ai voulu écrire dans le but secret, puis avoué, de m'en remettre, une rupture que j'ai ensuite trouvée futile, que j'ai eu honte de raconter tant elle paraissait commune et insipide, dont j'ai insulté la peine jugée trop grande, avant de comprendre que  moi seul pouvait lui rendre sa grandeur véritable. Une histoire qui se termine par une réconciliation, celle de moi avec mon personnage, celle de moi avec mon travail, celle de moi simplement avec moi même. Et l'épilogue de cette histoire ne mérite pas d'être changé.