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Moins que zéro

kedgejettelencre2020
Publié le 17/06/2020
Moins que zéro de Bret Easton Ellis
Annonciateur et révélateur du génie de Bret Easton Ellis, Moins que zéro ne m’a pas tout à fait plu la première fois, mais il me fait aujourd’hui complètement vibrer.
C’est un roman qui se lit facilement, il est court, percutant dans ses dialogues, et il fait l’effet d’une bombe.

Moins que zéro nous donne une vision de la jeunesse dorée de Los Angeles dans les années 1980. L’action se concentre sur le jeune Clay qui est de retour en ville à l’occasion des fêtes de Noël. Il retrouve ses amis, sa famille, et la vie absurde d’une jeunesse désabusée, décadente et dissolue* qui possède tout, mais qui n’a rien. Car leur excès de possessions dénue leur vie de tout sens.

Mais peut-on parler d’action? Pas vraiment, et c’est en ça que le roman est déroutant. Car Clay, le narrateur, ne raconte pas grand-chose, si ce n’est sa constante défonce et sa fuite de l’ennui à tout prix. Le roman ne suit aucun schéma narratif: pas de début, pas de fin. C’est un enchaînement de scènes embrumées et sans fil rouge. On suit le regard de Clay qui se perd, on entr’aperçoit ce qui l’entoure, mais rien ne suscite son intérêt. Un jeu de miroir s’installe entre nous et notre anti-héros: et alors rien ne suscite notre intérêt non plus.

Au fil des pages, la frustration monte: on a envie de s’attacher aux personnages, à Clay, à Blair, à leur histoire d’amour, aux amitiés tissées, à Julian, à Trent, et même à Rip, le dealer. On voudrait comprendre pourquoi Clay est ainsi. Alors, on tourne les pages frénétiquement pour s’accrocher au moindre élément qui humaniserait notre héros, pour donner un peu de sens à notre lecture. Mais tout est creux. Et on finit par comprendre, non sans une profonde tristesse, que c’est Clay lui-même qui est creux. Pire, c’est le roman qui est dénué de sens. Dans une ambiance glauque et angoissante, le roman plonge les personnages dans un désespoir et un vide sans fin, ponctués de sexe, d’alcool, de drogues, de party, le « white trash » est de plus en plus assumé pour tenter de combler le vide. À tel point qu’à la fin du roman, leur désespoir devient contagieux, on se retrouve écœuré et vidé. Du moins, ça a été mon cas.

C’est là que le génie de Bret Easton Ellis opère: glaciale sensation lorsqu’on comprend que c’est à travers l’expérience de sa lecture que le roman réussit à transposer la sensation de rien à son lecteur. Moins que zéro nous permet de vivre la sensation de vide du héros. Et c’est la principale raison de mon choix: ce roman fait « vivre » son lecteur. Ici, le génie repose sur cette sensation brutale de vide et sa prise de conscience comme l’expérience visée du roman. C’est un twist génial, non seulement un renversement du schéma narratif, mais un Mindfuck de l’expérience romanesque.

« - Où vas-tu, je lui ai demandé.
– J’en sais rien, il a dit. J’me balade.
– Mais cette rue ne mène nulle part, je lui ai dit.
– Peu importe. – Qu’est-ce qui importe ? je lui ai demandé au bout d’un moment.
– Simplement d’aller de l’avant, il a répondu. »

*Propos de l’auteur

Bibliographie