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Noémie Poutaraud

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Publié le 12/05/2017
Prix cordées, collège

        Je ne suis pas sûre de savoir pourquoi ce jour m’a tant marquée. C’était un jour parfaitement ordinaire. Il pleuvait, une pluie typique pour un mois de juin : fine et tiède. Il y avait cette odeur que j’aime tant qui flottait dans l’air, celle de la terre mouillée qui ne l’avait pas été depuis longtemps. Je nageais dans l’eau grisâtre qui reflétait la couleur des nuages dans le ciel. Je nageais, la tête sous l’eau, mes cheveux flottant autour de moi comme une sorte d’aura protectrice. 

 

      J’aimais tant sentir l’eau contre ma peau… C’était comme si elle m’effleurait à peine, comme si elle m’embrassait, m’entourait de ses bras froids et réconfortants. La chaleur à l’extérieur était écrasante, étouffante. L’eau, elle, me portait, enlevait un peu du poids qui pesait sur mes épaules. Elle apaisait la douleur, atténuait la tristesse éternelle, qui, comme un tyran, m’imposait son règne dans mon cœur.

 

        D’où venait-elle, cette tristesse ?

 

       Impossible de le savoir. Même ce jour-là, en dépit de l’eau qui me faisait l’oublier un tant soit peu, je savais qu’elle était présente, comme une présence malveillante. Pourtant, je restais incapable d’en discerner l’origine. Pourquoi était-elle là, alors que j’avais tout ce dont n’importe qui d’autre pouvait rêver ?

 

       Sous l’eau, tout semblait calme. Silencieux. Les bruits du monde extérieur étaient comme étouffés. Je n’entendais presque plus, ni la tondeuse du voisin, ni le ronronnement du moteur des rares voitures qui passaient dans la rue près de chez moi. 

 

       Le monde, ce monde à part dans lequel je vivais, seule, était plongé dans un silence parfait, mis à part le clapotis de la pluie qui tombait sur la surface presque immobile de l’eau. 

 

      Ce sentiment de paix… de liberté ! C’était comme si d’un seul coup, les chaînes qui me maintenaient au sol se brisaient, et qu’enfin je pouvais voler.

 

     Et puis, mon corps commença à hurler, à réclamer son oxygène, en échange de cette précieuse liberté. À contrecœur, je revins à la surface. Et le poids retomba sur mes épaules.

 

      J’avais comme envie d’éclater, là, sous la pluie, mais ma voix était coincée dans ma gorge. Impossible de sortir un son. Sous l’emprise de la tristesse, mes larmes commencèrent à couler, se confondant à la pluie qui tombait, goutte par goutte, sur mon visage déformé par le chagrin, l’incompréhension. 

 

      Tout à l’intérieur de moi semblait crier. Mon cœur était en conflit avec ma tête, mes poumons et mon corps, en conflit avec cette envie de retourner sous l’eau, de vivre à jamais dans ce monde où tous les bruits, tous les malheurs devenaient muets…

 

     Et puis, comme dans un rêve, je suis sortie de l’eau. Comme faisait ma mère quand j’étais une petite fille, j’ai attrapé une serviette et me suis enroulée dedans. La tondeuse dans le jardin d’en face et les hurlements à l’intérieur de moi s’arrêtèrent simultanément.

 

    Tout s'était-il réellement passé comme ça ? Peut-être mon souvenir a-t-il changé au cours des années. 

 

       Ce dont je suis sûre de me souvenir, c'est de m'être endormie dehors, sur la terrasse en bois, chaude, malgré l'absence de soleil, enveloppée dans ma serviette. 

 

     Pour une raison que j'ignore, cette journée, parmi tant d'autres, est restée gravée dans ma mémoire.

 

      Peut-être était-ce ce sentiment de déchirement, de n'appartenir à rien ni à personne qui m'a tant marquée.

 

      Impossible de le savoir vraiment.

 

      Je me demande parfois si, un jour, je connaîtrai toutes les réponses aux questions que je me pose aujourd'hui. 

 

     Peut-être. Peut-être pas. Je suppose que je ne le saurai que plus tard. 

 

     Mais pour l'instant, je me contente de vivre. Travailler au collège, et passer du temps avec mes amis, ma famille.

 

     Et quant à ce qu'il se passera plus tard... On verra bien - plus tard…