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Paimpol ne résonne plus des mêmes foulées de liesse quand les goélettes rentraient au port après de longs mois d’absence. Ses pêcheurs ne partent plus au long cours vers les étendues blêmes et glacées des mers hyperborées. Ses quais ne sont plus ceux des adieux incertains ni des retrouvailles tant espérées d’automne. Pourtant l’âme des Islandais vibre encore entre ses murs de granit et l’œuvre de Pierre Loti ravive à chaque page ces destins bretons éprouvés par la Mer, nourricière et assassine.
Car c’est bien la Mer qui trône en personnage principal de ce drame costarmoricain. Indolente, elle fait osciller le récit inexorablement entre terre et mer, au rythme des marées. C’est elle qui de l’horizon sépare les tempêtes amères de la langueur des côtes bretonnes, les jours sans fins d’Islande des veillées de Gaud et de la grand-mère Moan, teintées d’inquiétude et d’espérance. Elle encore qui emporte loin des landes rases couvertes d’ajoncs et de bruyères. Le jeune Sylvestre, enrôlé dans la marine, découvrira alors l’âpre beauté des côtes belliqueuses des mers de Chine et les couchers de soleil rasant, couleur de feu. Quand de l’autre côté du globe, ce même soleil pâle et voilé éclaire la pêche monotone de Yann face aux fiords islandais.
Camarade, elle berce les songes de Yann dans ce calme blanc d’Islande et fait resurgir les souvenirs tendres des fêtes passées avec Gaud avant le départ. Germeront alors les amours sincères qu’il s’empressera de dire si le courage lui reste de retour au port. Mais la Mer, jalouse et passionnée, finira par consommer son mariage avec ces hommes valeureux à laquelle ils se sont liés en signant pour de lointaines contrées. Rancunière, elle se souvient de ceux qui lui ont été promis avant de lui avoir été enlevés par de belles bretonnes aux coiffes soignées. A force de tempêtes féroces et de houles acerbes elle précipitera leurs noces funestes célébrées au son du De Profundis qu’entonnent les vents.
Car la Mer tue, sépulture des marins, et emplie les églises de plaques commémoratives où se lisent à la suite les mêmes noms de famille. Cette mer qui emporte au loin au risque de ne jamais faire revenir, que les effets personnels ainsi que le deuil auquel survivre. Pas de cimetière, pas de stèle fleurie ni de lamentation ; l’âme des matelots respire à chaque flot. Et dans cette Bretagne des légendes et des présages funestes, comme raillerait Tristan Corbière : « Vieux fantôme éventé, la Mort change de face : La Mer !... »