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Tous les hommes du roi

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Publié le 13/05/2019
Tous les hommes du roi de Robert Penn-Warren
Cher M Penn-Warren,
Cette édition de ‘Tous les hommes du Roi’ que vous m’avez fait parvenir à travers les années et les aléas des traductions piquait ma curiosité.

Sous une jaquette déliée de fines dorures se révèle une toile patiemment tissée, où peu de détails sont vraiment anodins. Vous voulez vos lecteurs capables d’apprécier un bon mot trainant au détour d’une page, et d’y trouver une pertinence après en avoir tourné plusieurs autres ; je n’en éprouve que de la gratitude. Ainsi est habilement peinte une fresque d’il y a 80 ans sur laquelle j’ai pu voir mon ombre, la contemplant sous le soleil étouffant que vous brossez.

Ce livre a été mon premier de votre répertoire, d’aucuns diront qu’il est facile d’apprécier un triple Pullitzer en commençant par son chef d’œuvre, ces lignes sont ma non réponse pour ne dire a personne que cette facilité m’a enchanté. Ici l’histoire fait un peu, votre style fait beaucoup.

Jack Burden est votre narrateur, l’homme de confiance d’un baron politique d’une Amérique de l’entre-deux guerres, qui veut régner sur un Etat du Sud ou l’héritage de la guerre de sécession est une plaie avivée par l’humidité ambiante, que la poussière des routes n’a pas encore comblée.

Cette chaude atmosphère nous poursuit au fil des pages tout comme elle oppresse ou engourdie le ‘Roi’ et son ‘Fou’.  L’un ne se construit qu’en gravissant les marches du pouvoir, a des moyens peu recommandables, mais nappe sa quête de pouvoir dans un semblant de foi en ses idéaux originels. Son second a enterré toute ambition personnelle, il ne vit que par les vérités qu’il trouve chez les autres, et ressasse perpétuellement sa jeunesse avec la plume d’un historien raté - mais raté parfaitement réussi.

Vous avez fait une tragédie qui ne tombe jamais dans le pathétique, où Jack avance armé de trop nombreuses cigarettes et d’insuffisantes bouteilles de whisky pour affronter la fatalité qu’il lit sur les figures tutélaires de sa vie. Ces figures, du juge, à l’avocat, de la mère à l’amante, en passant par l’ami, sont engoncées dans une fierté, une droiture ou une bigoterie, que côtoient le désir, les non-dits et la jalousie. Burden porte ainsi son fardeau en faisant son introspection, et nous pousse ainsi inconsciemment à mener la nôtre.   

Merci M Penn-Warren, votre livre a rempli son but. Accompagnant mes trajets quotidiens il fut la fenêtre par laquelle je sautais sitôt assis dans le bus. Parce que ce livre aurait été la raison pour laquelle j’eu apprécié un trajet plus long. Grâce à vous le bus n’était plus mon transport en commun quotidien. C’était une berline, suivant celle du Boss, sur une route asphaltée grâce à des intrigues alimentées par Jack, de nouveaux impôts auxquels les paysans sudistes consentaient plus ou moins, et de généreux pots de vins. Dans cette berline Jack entrelaçait sa vie à son récit, tout comme j’y ai retrouvé entrelacées des bribes de la mienne entre ses lignes.

Bibliographie