Lorsqu'on lui demande de s'exprimer sur les femmes et le roman, Virginia Woolf se rend compte qu'il ne s'agit pas simplement d'évoquer quelques grandes auteures : elle préfère penser les femmes et la condition de création. Être auteur, encore au début du XXe siècle, est conditionné par le sexe et les moyens économiques. Seule possibilité pour celles qui veulent s'exprimer : des moyens, et surtout un espace, une chambre à soi, pour libérer la création. Ce titre, emprunté à l'auteure britannique, exprime très bien cette volonté de dire et lire les femmes.
Parlez de féminisme, et les réactions ne se font pas attendre, qu'elles soient négatives ou enthousiastes, féminines ou masculines. Si le féminisme prend de multiples formes, on retrouve à chaque fois cette volonté de comprendre à quel point les mécanismes sociaux peuvent influencer nos comportements et modes de pensée, favorisant inégalités et violences, que se soit dans la vie personnelle, professionnelle, ou dans l'espace public. L'écriture devient un moyen d'expression privilégié, qui permet de mettre en avant des voix audacieuses, des femmes qui d'une façon ou d'une autre luttent, partagent et inspirent, pour plus d'égalité et de respect.
Les livres présentés dans cette série d'articles sont autant de pistes de réflexion pour découvrir des figures de femme déterminées et motivantes, pour rendre compte de modes d'existence féminins et de trajectoires de vie multiples : provoquées, déterminées, imprévisibles, mais toujours enrichissantes.
Ces hommes qui m'expliquent la vie, Rebecca Solnit, éd. de L'Olivier
Premier texte de la nouvelle collection des éditions de L'Olivier, collection de non-fiction, ce titre est un recueil de 9 articles, publiés dans diverses revues et différents blogs, où Rebecca Solnit livre ses réflexions sur la place des femmes dans la société et démontre les rouages de la domination masculine.
Ce recueil commence avec le souvenir d'une soirée lors de laquelle un homme s'évertuait à louer un livre, sans laisser la moindre chance à Rebecca Solnit de s'exprimer sur le sujet, sujet qu'elle connaissait assez bien puisque le livre en question, c'est elle qui l'avait écrit. Une situation que de nombreuses femmes doivent reconnaître, situation où nous sommes écoutées d'une oreille distraite, avec suffisance et dédain parfois, où nous nous faisons couper la parole comme si de toute évidence nous n'étions pas capable de formuler une idée intéressante. Les femmes sont ainsi réduites au silence, ignorées, ridiculisées par les hommes et cette arrogance, cet "excès de confiance infondé" dont parle très justement R. Solnit. Les femmes en ont marre de se faire expliquer ce qu'elle doivent dire, faire, penser.
Elle explique à quel point la crédibilité est importante. Là encore, les situations sont nombreuses : dans certains pays, une femme ne peut témoigner lors d'un procès, car sa parole n'a aucune valeur juridique ; lorsqu'une femme affirme avoir été victime d'agression, de harcèlement, ou de viol, sa parole est dénigrée, on la décrédibilise en la disant folle ou hystérique, ou bien on explique que finalement elle l'a bien cherché, voire qu'en fait elle a aimé ça. Révoltant.
Ces différents articles nous rappellent que les violences faites aux femmes sont nombreuses, qu'elles prennent différentes formes, sont quotidiennes et existent partout depuis bien trop longtemps. Beaucoup d'exemples sont exposés, effarants, comme celui d'une université prodiguant de nombreux conseils aux femmes pour éviter de se faire agresser, alors qu'aucun mot n'était adressé aux hommes sur comment ne pas être un agresseur... Cela montre bien à quel point la société patriarcale influe nos pensées et comportements.
Et pour répondre aux hommes qui expliquent qu'ils ne sont pas comme les autres, qu'ils ne se comportent pas comme eux, comme s'ils voulaient se justifier ou simplement ramener la conversation sur eux, voici la réponse : le problème n'est pas que "not all men" ("pas tous les hommes") sont concernés, mais bien que "all women" ("toutes les femmes") le sont. Donc oui le féminisme est plus que nécessaire, et le combat justifié.
Les sujets abordés sont variés, que ce soit l'art, la littérature (avec des références à Suzanne Sontag ou encore Virginia Woolf, prisent en exemple), le mariage pour tous, le mansplaining, la culture du viol... Des sujets sombres et enrageants, traités avec discernement, un peu d'humour aussi, un livre qui permet de comprendre et rappeler quels sont les rouages de la domination masculine. Bref ce livre est éclairant, motivant, et à ajouter à sa bibliothèque idéale !